La ruée vers la Gueuze : la Méthode Traditionnelle à la sauce américaine…

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Les derniers rebondissements autour de Méthodes (pas toujours très) Traditionnelles.

L’assemblage semble plus difficile sur le principe que dans les bouteilles chez les brasseurs étasuniens. Après avoir revisité de nombreux styles européens classiques, ils ont décidé de s’attaquer à la reproduction des emblématiques Gueuze et Lambic de la région du Pajottenland en Belgique. Si pour de nombreux styles même régionaux, il a suffi de copier ou de rajouter « American » comme préfixe pour se l’approprier rapidement, ce n’est pas aussi simple pour les très convoitées Gueuzes et Lambics. Aujourd’hui le niveau atteint par quelques brasseries est de l’avis de nombreux dégustateurs dans l’esprit des versions originales. Pourtant, les brasseurs et les consommateurs ne sont pas du tout d’accord sur l’appellation à donner aux nouveaux clones de ces bières aussi prestigieuses que traditionnelles.

Pendant de nombreuses années, les brasseurs américains, aussi bien amateurs que professionnels, ne se sont pas vraiment posés de question  : toutes les bières sauvages (Wild Beer) étaient simplement des bières sures (Sour Beer). Il n’y avait pas vraiment de distinction et aucun formalisme sur les méthodes utilisées. A l’image de New Belgium, un des pionniers dans le domaine, l’utilisation de levures sauvages passait souvent par une étape en laboratoire, le vieillissement ainsi que le type de barriques était sélectionné plutôt selon le gout que par tradition, le résultat final et l’avis des consommateurs comptaient souvent plus que la méthode utilisée. Il n’y avait pas de style recherché en particulier et encore moins besoin d’une labellisation. Le public visé était limité à un cercle de connaisseurs avertis qui faisaient confiance à ces pionniers du brassage alternatif tant sur les méthodes que sur le résultat.

Mais voilà, selon le Times Magazine, depuis 2 ans, le marché des bières sures a été multiplié par 5 aux états unis et particulièrement le tout nouveau créneau des bières spontanées. Le prix de certaines Gueuzes réputées flambe à plus de 180€ la bouteille pour des Gueuzes non millésimées. La faute à un nombre de gueuzerie très limitée dans le monde (une petite dizaine) et à une politique d’importation aux US compliquée qui fait grimper les prix et encourage le marché noir et le trafic.

Le point positif de tout cela c’est que de plus en plus de brasseurs passionnés peuvent envisager de se tourner vers ces styles difficilement rentables auparavant. Une vingtaine de brasseries US et d’autre un peu partout dans le monde ont ainsi lancé des programmes longs et coûteux de fabrications de bières spontanées vieillies en barriques. Mais cela prend jusqu’à 3 ans pour obtenir l’équivalent d’une Gueuze ! Alors sans appellation, dur de faire connaitre et reconnaître ses produits, de garantir aux consommateurs le respect de certaines étapes indispensables à l’élaboration de ces styles particuliers. Et aussi ne le cachons pas de les vendre à un bon prix.

Il n’est pas facile de toucher aux traditions !

L’histoire ne date pourtant pas d’hier puisque Allagash Brewing Company sont les premiers en 2007 à s’équiper d’un coolship (le bac de refroidissement emblématique de la fabrication des gueuzes) pour essayer de reproduire des bières traditionnelles typiquement belges. Si ils redoutent un temps l’accueil par leurs pairs de ces expérimentions, Jason Perkins de Allagash confie : « nous étions assez inquiets et intrigués par la réaction qu’allait avoir les brasseurs belges. Ils sont généralement très fiers et attachés à leurs traditions mais les commentaires furent globalement très positifs ».
Ils sont aujourd’hui une grosse vingtaine, gros ou tout petit, spécialisés ou non, à s’être lancés dans un programme similaire de bières spontanées refroidies en coolship et vieillies en barriques. Ils s’inspirent plus ou moins des méthodes traditionnelles ou imaginent leur propre façon de revisiter ces styles à l’américaine. Tous sont assez d’accords pour dire qu’ils ne font pas de Lambics ou de Gueuzes et ne souhaitent pas utiliser ce nom pour leurs bières. C’est avant tout par respect pour la tradition et le produit d’origine. Car même si des tentatives de protections ont été lancées en Belgique, il n’y a pas vraiment d’interdictions légales internationales qui résisteraient à une attaque d’une des grosses brasseries belges. « Nous ne sommes pas et n’avons aucune intention d’être une brasserie de Lambic » écrit par exemple James Howat de la Brasserie Black Project qui fait partie du groupe de discussion sur la future appellation. Chacun a sa propre approche mais tous on le même respect.

Photo Allagash Brewing Company

Pourquoi vouloir à tout prix un label ?

Certain à l’image de Lost Abbey et sa Duck Duck Gooze ou de The Bruery’s avec Rueuze ne se gênent pas pour détourner le nom. D’autres laissent entendre ou inscrivent sur leur étiquette que la bière est d’inspiration ou de style Lambic ou Gueuze sans pour autant respecter le moindre cahier des charges… qui d’ailleurs n’existent pas pour l’instant.

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La plupart des brasseurs s’en moquent et concentrent leur énergie à l’amélioration constante de leur bière à l’image de Trevor Rogers de De Garde Brewing « je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas simplement faire de notre mieux et laisser les consommateurs décider ». Ce n’est pas le cas d’autres brasseurs qui aspirent à trouver une solution « nous voulons une appellation simple qui indique clairement ce que sont nos bières et ce qu’elles ne sont pas. Un nom moins générique que « American Wild Ale », et plus concis que « Ale de fermentation spontanée brassée dans le Wisconsin en suivant la méthode traditionnelle des brasseurs Belge de Lambic » affirme Levi Funk de Funk Factory Geuzeria.

Après des discussions sans fins autour d’un style « American Lambic » qui semblait satisfaire tout le monde, l’appellation a finalement été balayée d’un revers de la main par les gueuzeries belges, comme une hérésie. C’est Jeffrey Stuffings de Jester King (brasserie d’Austin au Texas spécialisée depuis 2010 dans les fermentations alternatives) qui est allé rencontrer directement Jean Van Roy de la brasserie Cantillon. Ils ressortirent tous les deux fortement convaincu qu’il y a tout à y gagner de respecter la tradition et de trouver une solution. A l’instar de la méthode champenoise, ils tombent d’accord sur une nouvelle appellation : « Méthode Gueuze ».

Tout le monde semble satisfait que l’on soit enfin sorti de ces tergiversations sans fins. Mais moins d’un an après, nouveau coup de théâtre avec une convocation de l’HORAL (« Haut Conseil des brasseurs de Lambics » regroupant les principaux fabricants de Lambic mais dont ne fait pas parti Jean Van Roy de Cantillon). Ils n’auraient pas apprécié de ne pas avoir été consultés. Cette fois James Howat de Black Project Spontaneous & Wild Ales à Denver fait le déplacement avec Jeffrey. Encore une fois grâce à leur démarche respectueuse et ils parviennent à un accord. Conformément à la règle pour la fabrication de vin fermenté hors de la région champenoise, l’appellation retenue et validée sera « Méthode Traditionnelle ». Hourra !

(Il y aura tout de même un petit couac autour de mot « traditionnel » d’abord écrit avec un seul « n » ce qui montre que tout ceci c’est quand même fait un peu dans la précipitation)

Photo Jester King Brewery.

Le dénouement ou le début de la fin ?

Mais ce n’est pas la fin ! Tout cette histoire a fait ressortir des intérêts contradictoires et une situation bien moins limpide qu’une bonne gueuze hors d’âge. Comme le résume encore fois avec beaucoup de sagesse Levi Funk de Funk Factory Geuzeria « En y prêtant attention, il y a et il y aura toujours deux objectifs contradictoires : 1/ respecter les producteurs belges et leurs traditions et 2/ respecter et faire prospérer nos propres produits » car il y a indéniablement un intérêt économique et du protectionnisme derrière tout ça. Trevor Rogers de De Garde Brewing ne se gêne pas pour appuyer là où ça fait mal « Essayer de respecter les traditions des autres quand celles-ci ne les ont même pas respectées, ce n’est pas seulement une erreur, mais juste du capitaliste ».

Car c’est aussi une des cause de cette imbroglio. Selon le site lambic.info parmi les onze membres de l’HORAL, sept au moins produisent un produit dans leur gamme qui ne devrait pas être appelé Lambic par non-respect du processus traditionnel et/ou à cause de l’ajout de sucre. Cinq d’entre eux produisent au moins 50% de Lambic édulcoré. C’est là que le bât blesse et c’est une des raisons pour laquelle la brasserie Cantillon ne fait pas parti de ce groupement d’intérêts pas toujours convergents.

De quoi animer de nouveaux débats sans fin entre les brasseurs de tous les pays. De plus, l’escalade des prix est aussi pointée du doigt. Certaines brasseries surfent joyeusement sur la vague du Lambic tandis que d’autres redoutent aussi la perte d’une certaine identité à vouloir toujours suivre les traditions des autres. Entre ceux qui se félicitent, ceux qui critiquent et ceux qui ne veulent pas jouer le jeu, le tapage autour de cette notion de gueuze semble sans fin !

Mais qu’en est-il de cette « Méthode Traditionnelle » ?

Pour l’instant un premier cahier des charges a été dressé entre les membres de l’HORAL (Pierre Tilquin et Frank Boon) et les Américains (James Howat de Black Ale et Jeffrey Stuffings de Jester King). Les brasseurs intéressés pour rejoindre ce mouvement sont invités à s’inscrire sur la page du projet en question pour définir dans un second temps les modalités de la mise en place.

L’appellation est divisée en deux : MT pour l’équivalent d’un Lambic et MT 3 pour l’équivalent d’une Gueuze. Un logo spécifique sera apposé sur les bouteilles de ceux qui se seront engagés à respecter cette charte.

Un savoir-faire qui reprend ce qu’est la fabrication traditionnelle, à savoir : blé cru, houblon suranné, turbide mash, coolship, barriques de chêne… sans toutefois rentrer dans les détails. C’est plutôt bien fait et colle assez précisément à la méthode traditionnelle même si la correction de l’eau et du pH, chère à nos confrères américains, coincent un peu aux entournures.

Pour la « Méthode Traditionnelle – 3 Year Blend » il s’agit tout simplement des règles et méthodologies de fabrication d’une gueuze traditionnelle : assemblage de 3 années différentes avec 60% au minimum de la plus vieille (qui aura passé au moins 3 étés dans une barrique de chêne).

Tout ça pour ça !

Une poignée de brasseries qui se déchirent pour deux styles de bières ! On peut se dire que c’est une bien grosse tempête dans un si petit verre. Malgré tout ce tumulte, les enjeux sont réellement importants pour l’avenir et le devenir de ces brasseries Belges qui ont, rappelons-le, presque disparues. Elle soulève également des interrogations sur la notion de terroir dont on parle de plus en plus. L’idée étant de s’orienter vers des bières de plus en plus ancrées localement.

Il s’agit aussi pour les pionniers américains dans ce domaine d’obtenir une certaine reconnaissance et de se démarquer des bières acides simples. L’appellation des bières sures restant large et floue au demeurant. Certains brasseurs profitent clairement de cet engouement pour en faire une argument marketing. Tout le monde veut mettre à sa carte la bière la plus originale pour se démarquer. Les différences de travail sur les produits (vieillissement, assemblage) mais aussi les dérives constatées lors de la fabrication des ces gueuzes américaines ont soulevé le débat pour permettre de définir des styles clairs et identifiables au sein de cette nouvelle vague de bières acides.

En France, ils sont encore rares à avoir lancé un programme de bières spontanées en barrique et aujourd’hui, seul deux ou trois bières pourraient revendiquer cette appellation de « Méthode Traditionnelle ». Dans le pays où le vin a souvent été un modèle, on longtemps privilégié des appellations régionales même pour les bières. Beaucoup cherchent à trouver des styles français quand on se contente d’appellations régionales (Bière de Lyon, Bière de Paris, Bière de Lorraine…). C’est d’après moi dans cet esprit que les « brasseurs sauvages » sont plus enclins à s’apparenter au mouvement des vins natures , à savoir une charte simple et libre : fermentation spontanée et vieillissement en barrique. Plutôt que de suivre une « méthode » rigide, les brasseurs français préfèrent mettre en avant la notion de terroir, certainement aussi parce que cela parle plus au consommateur.  Sans oublier également le coté péjoratif dans le monde artisanal français du mot « traditionnel ». En d’autres termes, ce n’est pas demain qu’on risque de voir les termes « Méthodes Traditionnelles » sur les étiquettes de bières françaises.

Tout ça ne sera surement pas le mot de la fin car la bière, même traditionnelle, sera toujours amenée à évoluer pour le plus grand plaisir des consommateurs.

Un des rares coolship en France @ la Brasserie la Montagnarde

 

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A propos de christopheb

Christophe B&B aime ce qui est un peu fou, sauvage, décalé et expérimental. Sa cuisine ressemble à un labo de savant fou et son salon est rempli de dame-jeanne toutes plus bizarres les unes que les autres... Mais on ne se lance pas là dedans sans les connaissances de bases, une hygiène irréprochable ! Il apprécie tout autant faire une bière blonde toute simple qu'une imperial Beliner Weisse aux fruits ou encore une bière de fermentation spontanée en barrique.