AB Inbev et le houblon : Une stratégie d’intégration verticale
Même si rien n’a été annoncé officiellement, la rumeur court vite, et persiste. AB Inbev (ABI) aurait décidé de ne pas revendre le houblon qu’elle produit en Afrique du Sud.
Rappel du contexte
Tout le monde se souvient de la vaste concentration entre ABI et SAB Miller. A cette occasion, ABI avait non seulement racheté le portefeuille de marques de SAB Miller (dont elle a dû céder une grande partie afin d’obtenir le feu vert des autorités de concurrence), mais a aussi acquis certaines filiales de SAB Miller, dont SAB Hop Farms (SABHF).
SABHF est une société sud-africaine spécialisée dans le développement de houblons expérimentaux. Jusqu’à présent, elle vendait le houblon produit, notamment à l’international. Cela a ainsi permis à certains brasseurs américains d’en profiter.
Or, certains de ces brasseurs (dont Proclamation Ale Company) ont annoncé que SABHF refusait maintenant de leur vendre leur houblon. Il apparait que ABI a décidé de réserver le houblon produit pour ses propres brasseries (dont certainement les brasseries « craft » récemment rachetées). Outre l’indignation qu’emporte ce genre de projet, certaines questions peuvent être posées.
Des effets verticaux ?
Cette annonce montre une stratégie d’intégration verticale d’ABI. Lors de la concentration ABI/SAB Miller, la plupart des débats ont porté sur les effets horizontaux, c’est-à-dire, schématiquement, sur l’accumulation de parts de marché par ABI sur les différents marchés nationaux des bières. En revanche, les effets verticaux avaient été le plus souvent oubliés du débat.
L’on entend par effets verticaux la possibilité pour un acteur, présent sur deux marchés (l’un en amont de la production, comme le houblon, l’autre en aval, comme la bière), et ayant une forte part de marché sur l’un de ces deux marchés, d’empêcher l’accès des concurrents aux produits du marché sur lequel il détient une position importante. Dans le cas d’ABI, cela signifierait que
Cette question a certainement été analysé par les autorités de concurrence. On attend toujours que la Commission européenne publie sa décision pour aller étudier cela. Ce risque a sans doute été évacué car il aura été considéré que le marché du houblon était très large.
Cependant, cette analyse se heurte, à mon sens, à la réalité du marché du houblon, qui est un marché fortement segmenté, et très innovant.
Un frein à l’innovation
La principale cause d’indignation des brasseurs concernées par cette nouvelle politique d’ABI n’est pas de ne pas avoir accès à du houblon, mais de ne pas avoir accès aux houblons de SABHF. Cette dernière a développé plusieurs variétés spécifiques (voir sur leur site internet). Ainsi, en restreignant l’accès à ces variétés de houblon, ABI va effectivement freiner l’innovation des brasseurs, et réserver cette innovation à ses propres filiales.
Cela pose deux questions.
En premier lieu, celui de la définition du marché du houblon. Ne faudrait-il pas segmenter selon l’espèce, ou selon les propriétés du houblon (taux d’acides alpha et d’huiles essentielles, etc.) ?
En second lieu, cela repose la question de la monopolisation du vivant par le droit de la propriété intellectuelle. Si l’accès est retreint par ABI, c’est que le droit de cultiver ces variétés n’appartient qu’à SABHF.
Sur ce, je vous laisse vous écharper dans les commentaires !
mai 11, 2017 at 6:59
Salut,
ce n’est pas une rumeur, mais le contexte a été (sciemment?) oublié….la récolte de cette année sera en baisse par rapport à 2017, ce qui fait qu’ils n’auront aucun surplus à vendre.
Source: https://thisiswhyimdrunk.blog/2017/05/10/ab-inbev-is-coming-for-all-your-hops-unless-they-arent/
Marc.
mai 11, 2017 at 7:18
Je ne suis pas tout à fait d’accord : la baisse de la production n’empêche pas l’existence d’un surplus, Mais je pense que cela ne change rien à l’analyse. Il est toujours intéressant de voir qu’ABI va vers plus d’intégration verticale.
L’article questionne ici l’analyse à mener : faut-il considérer qu’il existe un cas de forclusion (constituant éventuellement une restriction de concurrence) si l’accès à une variété a été bloquée ? Et notamment dans la mesure où ce bloquage est possible grâce à la brevetabilité du vivant ?
mai 11, 2017 at 11:33
As-tu lu l’article? Ils vont augmenter les surfaces cultivées. Dès que la production sera en hausse, les houblons seront de nouveaux disponibles aux brasseries internationales. Les « craft breweries » sud-africaines ne sont pas affectées. De plus les volumes dont on parle sont minimes. C’est pas comme si ils avaient le monopole des récoltes de Citra ou Mosaic.
Dire que ABI est sur une logique d’intégration verticale n’est pas faux, mais ce n’est pas nouveau. Ils ont des champs de houblons et d’orge depuis des années. Les fermes sud-africaines faisaient partie de SAB-Miller c’est tout. Ne pas pouvoir utiliser de Southern Queen (J17) ça va affecter qui vraiment?
Du danger il y en a, avec la vague d’acquisition d’ABI. Mais attention à ne pas laisser influencer inutilement par de faux scandales. Il faut lire l’article de FT à propos de la percée du groupe en Chine par exemple. Et surtout la paire d’article sur http://goodbeerhunting.com/blog/, l’édito de M.Kiser et le point de vue du PDG de Creatures Comfort (qui connaît son sujet de l’intérieur).
Pour finir sur cette non-histoire de houblon sud-africain:
– https://www.pressreader.com/south-africa/cape-times/20170302/282196535736573
– http://beerstreetjournal.com/ab-inbev-makes-statement-south-african-hop-allocation/
Cheers,
Marc.
mai 12, 2017 at 10:17
Cette volonté de SAB Miller de contrôler son approvisionnement jusqu’au champ correspond surtout à ses pratiques d’évitement fiscal à travers l’Afrique : depuis pas mal de temps, les succursales de South African Breweries (SAB, donc) à travers l’Afrique achètent toutes leurs matières premières à une centrale d’achat située à Maurice. Et les achètent à des prix gonflés, ce qui permet au groupe de rapatrier en douce des liquidités ver sun paradis fiscal… entre ce truc-là et quelques autres, ils arrivaient déjà en 2010 à ne pas payer d’impôts du tout dans des pays comme le Ghana… Et c’est peut-être bien là le vrai scandale…
(cf.https://www.actionaid.org.uk/sites/default/files/doc_lib/calling_time_on_tax_avoidance.pdf, en particulier les pages 26-27)
mai 12, 2017 at 10:22
Intéressant ! Il n’y a pas de contrôle des prix de transfert dans les systèmes fiscaux africains ?