La guerre « Bud » tchéco-américaine continue !

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Attention, cet article est très juridique. N’hésitez surtout pas à poser des questions en commentaires, j’espère pouvoir y répondre le mieux possible.

Nouvel avatar de la guerre juridique que se livrent les brasseries Budweiser (US) et Budvar (République tchèque), l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 juin 2016 a penché aujourd’hui du côté de la brasserie américaine.

On se rappelle que les juridictions européennes avaient considéré, il y a maintenant 5 ans, que l’inscription au Royaume-Uni de la marque « Budweiser » par Budwar ne posait pas de problème au regard du droit des marque. De plus,  il y a maintenant 3 ans, la Cour suprême italienne avait annulé la marque « Budweiser » détenue par le géant américain, permettant donc le retour de la commercialisation de sa lointaine cousine tchèque chez nos amis latins.

Aujourd’hui, la demande qui a été formulée par la brasserie tchèque a été rejetée, sans doute en raison du fondement utilisé. Nous allons parler aujourd’hui des appellations d’origine.

L’inscription de « Bud » comme appellation d’origine

Petit retour en 1975. La Tchécoslovaquie d’alors a demandé l’inscription auprès de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (l’OMPI) d’une appellation d’origine « Bud » (du nom de la ville České Budějovice, ou Böhmisch Budweis en Allemand).

Pour la définition de l’appellation d’origine, et de sa distinction avec la notion d’indication géographique, on renverra utilement vers le site de l’OMPI. Pour les puristes, nous citerons l’article 2 de l’Arrangement de Lisbonne concernant la protection des appellations d’origine et leur enregistrement international :

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On entend par appellation d’origine, au sens du présent Arrangement, la dénomination géographique d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus exclusivement ou essentiellement au milieu géographique, comprenant les facteurs naturels et les facteurs humains.

Deux critères cumulatifs doivent donc être rassemblés pour qu’une appellation d’origine puisse être protégée au regard du droit international :

  • le produit en question doit être originaire de cette région ; et
  • la qualité ou les caractères du produit sont dues exclusivement ou essentiellement à cette origine géographique.

Rappel des faits

Maintenant que la question de la marque a été close, Budvar a donc tenté de se fonder sur cette inscription par la Tchécoslovaquie auprès de l’OMPI pour obtenir une interdiction de commercialisation des bières « Bud » par Kronenbourg, qui distribue les Bud en France.

Petit aparté : il faudra un jour clarifier les relations entre les différents groupes. Ce que je comprends, là, c’est que la marque « Bud » appartient à AB Inbev, mais est distribuée en France par Kronenbourg, une société du groupe Carlsberg. Ca serait intéressant de s’y pencher.

Bref, la DGCCRF se penche sur le cas de Kronenbourg et lui demande de mettre fin à cette commercialisation. En réaction, Kronenbourg a intenté une action à l’encontre de Budvar, avec deux objectifs:

  • invalider l’appellation d’origine sur le territoire français ; et
  • obtenir la condamnation de Budvar à des dommages et intérêts, pour concurrence déloyale.

Et Heineken a gagné sur toute la ligne.

L’invalidation de l’appellation d’origine sur le territoire français

Tout d’abord, la Cour de cassation a confirmé l’analyse de la Cour d’appel de Colmar. Il convient à vrai dire de distinguer deux périodes : une période antérieure au 31 octobre 2004, au cours duquel l’Arrangement de Lisbonne était encore applicable à la République tchèque, et la période postérieure à cette date, où c’est le Règlement européen n°918/2004 du 9 avril 2004, emportant l’application du Règlement 2081/92 à la République tchèque, nouvelle entrante dans l’UE, règlement qui organise les règles d’appellation d’origine au sein de l’UE

Pour la période postérieure au 31 octobre 2004, la Cour a seulement constaté que la République tchèque n’a pas renouvelé l’inscription de l’appellation d’origine « Bud » auprès de la Commission européenne. Cela suffit pour considérer qu’elle n’est pas opposable au sein des Etats membres de l’Union européenne.

Pour la période antérieure à 2004, la Cour a considéré que l’appellation d’origine enregistrée auprès de l’OMPI était invalide sur le territoire français. En effet, la Cour d’appel de Colmar a considéré que l’appellation « Bud » ne constituait pas la dénomination d’un lieu géographique déterminé.

Pour la Cour de cassation, cette constatation est parfaitement valable. On peut penser que cette manière de contracter le nom de la ville (Budweis devenant Bud) a été considéré par les juridictions françaises comme retirant l’attachement géographique à cette ville que l’appellation d’origine est censé protéger.

Comme on l’a vu précédemment, cette condition est cumulative. En considérant qu’elle n’existe pas, la validité de l’appellation d’origine tombe automatiquement.

La condamnation à des dommages et intérêts

Cette condamnation pose plus de questions, non pas sur son principe, mais sur son fondement.

En effet, la Cour d’appel, confirmée en cela par la Cour de cassation, a considéré que Kronenbourg, du fait de l’action de Budvar qui a initié l’action de la DGCCRF, a subi un trouble dans la jouissance de l’exploitation du contrat de distribution de la « Bud ». La Cour d’appel semble avoir considéré comme fautif le comportement de Budvar de ce fait, et surtout dans le maintien de cette prétention tout au long de la procédure, et l’a donc condamnée à des dommages et intérêts pour concurrence déloyale.

Sur l’analyse purement juridique, je peine à comprendre cet aspect de l’arrêt. En effet, le seul préjudice subi par Kronenbourg résulte de l’action de la DGCCRF, initiée par Budvar. Si jamais on considère que le fait d’intenter cette action est fautif, il aurait mieux valu se fonder, en toute rigueur, sur la notion de procédure abusive, que sur la concurrence déloyale.

La question n’est pas anodine. Si l’on applique le raisonnement de la Cour à d’autres cas, faudrait-il considérer que le simple fait d’opposer à un concurrent un argument juridique certes faible, mais dont les chances de succès restent néanmoins existantes, constitue un cas de concurrence déloyale ? Le risque de dérive est fort. En revanche, se limiter dans ces cas au fondement de la procédure abusive, fondement strictement encadré par la jurisprudence, permet d’éviter ce type de dérive.

Notons cependant que cette condamnation est purement symbolique, puisque limitée à 1€ (on aurait encore beaucoup de choses à dire sur une telle estimation forfaitaire d’un dommage).

Enseignement

Cet arrêt amène à deux enseignements principaux, l’un pour les Etats inscrivant une appellation d’origine auprès de l’OMPI ou de l’Union européenne, et l’autre pour les justiciables souhaitant s’en prévaloir.

Pour les Etats, il convient de limiter les demandes d’appellation d’origine aux appellations géographiques effectives. Une appellation proche n’est pas suffisante, au risque de voir annuler cette dernière. De plus, cet arrêt vient rappeler la caducité de l’Arrangement de Lisbonne en ce qui concerne la protection des appellations d’origine au sein de l’Union européenne.

Pour les justiciables, cela démontre toute la difficulté à utiliser la notion d’appellation d’origine pour obtenir la protection d’une marque commerciale. Il peut s’agir d’un outil puissant, mais dangereux. Budvar peut s’estimer heureuse de ne pas avoir été condamnée à des dommages et intérêts plus importants.

Source : Cour de cassation, chambre commerciale, 29 juin 2016, n° 13-28.159

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A propos de Pierre

Pierre est l'avocat de la bande. Un peu moins fun que les autres, mais toujours intéressé par partager un bon moment malté (pourvu que la bière soit bonne).

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