Nouvelles définitions de la bière, que signifient-elles ?
Le 15 novembre 2016, le gouvernement a pris un décret modificatif du décret du 31 mai 1992 que nous avions déjà discuté il y a un moment. L’objectif de cette réforme est présenté rapidement dans la notice du décret : il s’agit « d’adapter la réglementation à l’évolution du marché des produits brassicoles marqué par une forte diversification des produits ». Il s’agit donc de clarifier les dénominations autorisées.
Avant de présenter les quelques réformes apportées par ce décret, il convient de noter deux choses :
- ces changements ne seront applicables que pour les bières embouteillées ou étiquetées à compter du 1er janvier 2017 ;
- ces dispositions ne sont pas applicables aux bières produites ailleurs dans l’Espace Economique Européen ainsi qu’en Turquie (?). Est-ce à dire que les bières américaines importées devront respecter ces règles de dénomination ? La question se pose légitimement.
L’explicitation de l’objectif du décret
Le premier changement important est le changement de nom du décret du 31 mai 1992. L’article 1er du décret du 15 novembre 2016 précise qu’il s’intitule désormais le « Décret n° 92-307 du 31 mars 1992 portant application de l’article L. 412-1 du code de la consommation en ce qui concerne les bières ».
Désormais, l’objectif est donc clair. En effet, l’article L. 412-1 du code de la consommation (à noter, pour les intéressés, que la numérotation du code de la consommation a été complètement refaite par une ordonnance du 14 mars 2016) précise que c’est par décret en Conseil d’Etat que le gouvernement se doit de définir un ensemble de caractéristiques de produits proposés au consommateur (notamment la définition des produits, les modes de présentation, les règles d’hygiène, etc.).
En particulier, la violation de ces dispositions va entraîner l’application des articles L. 413-1 s. du même code, violation qui est sanctionnée pénalement (cf. L. 451-1 s. C. conso).
Cette modification permet donc d’expliciter l’objectif de cette réglementation, qui est donc la protection du consommateur. Un éclaircissement bienvenu, tant ce décret semblait jusqu’à présent détaché d’un corpus législatif.
Une extension de la dénomination « bière »
Le nouveau décret vient étendre la définition de la bière au sens strict, sans qu’il ne soit nécessaire d’indiquer l’existence d’un arôme ou d’un adjuvant. Le décret de 1992 fixait les ingrédients suivant qui pouvaient être intégrés à la bière :
- des céréales ou des matières premières issues de céréales ;
- des sucres alimentaires ;
- du houblon et des substances conférant de l’amertume provenant du houblon ; et
- de l’eau.
Aujourd’hui peuvent également être intégrés :
- des herbes aromatiques ; et
- des épices.
Cette modification permet de résoudre en effet un problème de compatibilité de la réglementation française avec des traditions brassicoles étrangères, et notamment la tradition belge. Ainsi, les bières de Noël de style belges, fortement épicées, si elles sont brassées en France aujourd’hui, sont censées être dénommées bière à la cannelle, bière au clou de girofle…).
Le seul risque est de voir détournée la dénomination bière pour des boissons qui n’ont plus rien à voir. C’est pourquoi le nouveau décret précise que « l’adjonction de ces ingrédients ne confère pas au produit final de manière perceptible les caractéristiques aromatiques typiques de ces ingrédients ». On verra si la DGCCRF et les DIRECCTE seront tatillonnes ou non.
Une extension de la dénomination « bière à… »
Alors que le décret de 1992 venait limiter la dénomination « bière à… » aux seules bières faisant intervenir une matière végétale dans le processus brassicole, le nouveau décret vient étendre un peu cela en y ajoutant deux ingrédients possibles :
- les autres boissons alcoolisées (sous la limite d’une augmentation du titrage d’alcool du fait de cet ajout de 0,5%) ; et
- le miel.
Alors que, auparavant, la Desperado devait être dénommée « bière aromatisée à la tequila », on pourra bientôt en parler comme d’une « bière à la tequila ». Nous pensons cependant que cette modification a plus pour objet d’autoriser la pratique qui était déjà largement répandue des bières au miel.
Une protection de la dénomination « bière de garde »
Alors que le décret n’en parlait jusqu’à présent à aucun moment, le gouvernement a décidé de protéger la dénomination de « bière de garde ». Seule peut être ainsi dénommée « la bière qui, après sa fermentation primaire, a subi une période de garde d’une durée de 21 jours minimum ».
Cette solution nous semble dans la droite logique de la reconnaissance par les pouvoirs publics de la spécificité brassicole française. N’oublions pas que la bière fait aujourd’hui partie du patrimoine culturel et gastronomique français. Il est donc logique que le représentant le plus illustre de ce patrimoine soit protégé dans sa dénomination.
Une première brèche dans le monopole viticole
L’affaire n’est pas passée inaperçue. La DIRECCTE a récemment indiqué à un brasseur (dont j’ignore le nom) que la mention « Barley Wine » était interdite, puisque la mention vin est réservée au fruit de la vigne. Réflexe traditionnel d’une industrie française protectrice de son exception viticole.
Mine de rien, une première brèche est aujourd’hui faite. Comme pour la question des bières de miel, il s’agit sans doute de légitimer une pratique déjà en place, mais le sens reste intéressant. Le décret autorise en effet l’utilisation pour les bières des bouteilles de type « vin mousseux ».
Je laisse les techniciens du bouchon de liège (bouteille couchée/debout), des avantages des bouteilles « bière » / « vin mousseux » dans les commentaires, je reconnais que je n’y connais rien. J’y vois cependant un intérêt marketing. La bouteille « vin mousseux », associée au champagne, confère une image de prestige au produit qui y est contenu. Les brasseurs les plus malins (les plus opportunistes ?) sauront certainement s’emparer d’une telle possibilité.