Brasser une bière acide (sour beer) à la maison

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Ceci est une adaptation de l’article “Brewing Sour Beers at Home” du génialissime blog du « mad fermentationist », agrémenté de quelques unes de mes plus modestes expériences. Depuis la publication de cet article il a également publié un livre entier sur le sujet, une bible.

american sours

La bière de base

Pour faire une bonne sour beer maison, pas besoin de faire quoi que ce soit de particulier le jour du brassage. Une sour beer peut être obtenue à partir d’à peu près n’importe quelle bière de base. Juste attention a éviter des bières trop amères ou utilisant trop de malts grillés car ces caractéristiques seront amplifiées par le faible taux de sucres résiduels final.

Pas besoin donc d’utiliser de technique particulière durant l’empâtage, le rinçage, ébullition, à moins que vous vouliez répliquer un style classique (turbid mash  pour un lambic, pas d’ébullition pour une Berliner weisse etc).

Vous pouvez éventuellement augmenter légèrement la température d’empâtage par rapport à ce que vous auriez fait pour une bière non acide pour augmenter les sucres résiduels après la fermentation primaire. Ainsi les microbes auront de quoi se mettre sous la dent lors de la fermentation secondaire.

Les types de microbes des bières acides

Tout comme les levures à bière (saccharomyces) sont responsables de la majorité de la production de l’alcool, les microbes suivants sont responsables de la majorité de l’acidification ou du côté « funk »:

  • Brettanomyces (Brett) – La levure sauvage par excellence. Elles aident à diviser les dextrines (des sucres trop longs pour être consommes par des saccharomyces) et peuvent ajouter un vaste panel d’esters et de phénols a votre bière acide. Ceux-ci vont des très agréables : ananas, pomme et poire, a certains qui ne plairont pas à tous : cheval, ferme, aux indésirables : fumé, plastique fondu, et vomi de bébé. Ces arômes dépendent principalement du type de Brett utilisé, mais sont aussi influencés par le type d’alcool et d’acide présents dans la bière.
  • Pediococcus (Pedio) – produit la plus grande proportion d’acide lactique dans la plupart des bières acides. Il prend souvent plusieurs mois avant de vraiment se mettre en route. Certaines souches peuvent rendre votre bière “malade”, la bière devient visqueuse pendant plusieurs mois. Ceci disparais après encore quelques mois. Le pedio produit aussi du diacetyle qui sera consommé avec le temps par les Bretts.
  • Lactobacillus (Lacto) – La seule bière pour laquelle les lacto jouent un vrai rôle est la Berliner Weisse, le reste du temps ils sont inhibés par le houblon (> 8 IBU). Par contre elles agissent plus vite que les pedio.
  • Acetobacter – Souvent elle ne joue pas un rôle important. Les acétobacter ont besoin d’oxygène pour convertir l’éthanol en acide acétique (vinaigre) ce qui est indésirable. N’oubliez donc pas de bien faire en sorte de limiter au maximum le contact avec l’air.

Les microbes décrits peuvent être achetés (White Labs, Wyeast, etc) et récupérés au fond d’autres bouteilles de bières acides, qui contiendront une diversité peut-être plus intéressante (et imprévisible !) que les souches commerciales. Pour une description détaillée de tous ces organismes vous pouvez vous référer au livre Wild brews.

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Hygiène et précautions

Beaucoup de brasseurs sont réticents à faire pénétrer ces organismes sauvages dans leur antre, de peur de contaminer l’ensemble de leurs installations. Ces organismes ne sont pas plus résistants que des levures donc des pratiques d’hygiènes standard (que vous devriez déjà pratiquer pour les bières non acides) devraient être suffisantes.

Par précaution, certains utilisent des fermenteurs spécifiques et les stockent à un autre endroit du garage. L’avantage c’est que cela vous encourage à laisser vos bières acides tranquille.

Edit: Suite à plusieurs questions je précise que ce raisonnement tient pour des fermenteurs en verre, faciles à désinfecter. Pour des fermenteurs en plastique, avec beaucoup de recoins et de micro-fissures, je conseillerai d’en avoir des spécifiques pour les bière avec brett et sans brett.

Ensemencement d’une bière acide

Il est possible d’inoculer les microbes à votre bière à différents stades. Le plus tôt vous le faite dans la fermentation, le plus les caractéristiques seront prononcées. Les mettre dès le début avec la levure principale mettra bien en avant les caractéristiques des microbes choisis. Un starter pourra être nécessaire pour une bière fermentée 100% avec des Brett mais n’est pas recommandé pour les cocktails.

En ce qui concerne la levure principale, elles peuvent quasiment toutes convenir. La grande majorité des esters qui les caractérise vont de toute façon être consommés lors de la fermentation secondaire. Leur plus grand impact sur le résultat final est leur atténuation (= les sucres résiduels qu’elles vont laisser aux autres microbes).

microbes

Il est difficile d’obtenir suffisamment d’acidité lorsque les microbes sont inoculés en secondaire uniquement. Mais cela peut-être une bonne idée si tout ce que vous voulez est un léger coté « funky ». Les mettre en secondaire peut marcher si vous faites vieillir votre bière en fût dans lequel il y aura une légère pénétration d’oxygène. Ce qui n’est pas le cas dans un fermenteur en plastique.

Le transfert en fermentation secondaire s’effectue après la fermentation primaire (après 2-3 semaines). A ce moment vous pouvez ajouter du chêne si vous voulez.

Vous pouvez ensuite utiliser le dépôt de la fermentation pour relancer une autre bière acide. A chaque répétition le coté funky sera plus prononcé car les Brett se développeront plus vite.

Ajout de Bois / Chêne

Un élément classique d’une bière acide est le vieillissement en fût de bois (la plupart du temps en chêne).

Pour un brasseur amateur ceci n’est pas une option. L’alternative est d’utiliser des cubes de chêne.

Des cubes valent mieux que des copeaux dans ce cas car ils mettent plus longtemps à délivrer leurs arômes. Un bon départ est d’utiliser 30g pour 20L pour un impact modéré. Ils peuvent être bouillis 10 minutes pour les stériliser et leur retirer des arômes trop « durs » de bois neuf.

Pour imiter un vieillissement en fût, ces copeaux peuvent être macérés au préalable dans le breuvage de votre choix (vin, whisky, rhum, etc).

chene

Quel type de fermenteur ?

J’aurais tendance à recommander un fermenteur en verre car on n’a pas besoin de l’ouvrir pour voir ce qu’il se passe dedans. L’inconvénient est la petite ouverture. Donc si vous voulez mettre des fruits, le lavage pourra s’avérer compliqué! Et surtout… attention à ne pas l’exploser après de longs mois de patience !

Le vieillissement d’une bière acide

Plus longtemps vous laisserez votre bière vieillir, meilleure elle sera. Les bières acides s’améliorent quasiment toujours durant les 2-3 premières années. Une température moyenne est souhaitable (17-25°C). Une température plus élevée créera une bière plus acide, une température plus basse une bière plus douce; plus équilibrée.

Vous verrez également se développer une pellicule à la surface. Elle est juste la conséquence de la présence d’oxygène dans votre fermenteur. Il est également préférable d’essayer d’éviter d’exposer le fermenteur transparent à la lumière.

pellicule

L’ajout de fruit dans une bière acide

A peu près n’importe quel fruit peut fonctionner dans une bière acides. Baies et fruits à noyaux sont les classiques. Ils disposent d’un bon équilibre entre l’acidité, les sucres et les arômes.

En plus d’ajouter de l’arôme ils rajoutent un peu de sucres et d’acides. La plupart des sucres seront consommés par les microbes. Les sucres réveilleront les microbes qui créeront plus d’acidité et d’arômes divers et variés. Les acides présents dans les fruits (maliques et/ou citriques) sont différents et complémentaires des acides crées par les microbes. En plus, ils ajoutent des antioxydants qui préviendront la fabrication de goûts indésirables lié à l’oxygène présent.

L’acidité en retour aidera a mettre en valeur les arômes des fruits qui seront moins prononcés dans une bière au fruit non acide. La quantité de fruit ajouté dépend de l’impact gustatif que vous recherchez mais aussi de leur qualité ou de leur type (frais, compote, purée etc). En général cette quantité se situe quelque part entre 50 et 250 g/L.

fruits

En revanche, gardez à l’esprit que cela ne produira pas une bière sucrée ! Tous les sucres sont consommés. Pour obtenir une bière sucrée comme Lindemans par exemple il faut tuer les levures d’une manière ou d’une autre (chaleur, filtration, produits).

Il est intéressant de diviser le moût en deux et de faire moitié sans fruits et moitié avec fruits pour voir l’impact et l’évolution.

On peut mettre les fruits à tout moment dans la fermentation secondaire. L’avantage d’attendre quelques mois est de pouvoir goûter le moût pour réfléchir au type de fruit le plus adapté. Aussi ainsi les sucres seront consommés par les levures sauvages, contribuant beaucoup plus au coté funky.

La mise en bouteille d’une bière acide

Avant de mettre en bouteille il est au moins recommandé d’attendre que le barboteur ait cessé toute activité et que la densité soit stable d’un mois sur l’autre. Il faut aussi attendre d’être satisfait du goût. On peut attendre que la pellicule soit tombée au fond, mais ce n’est pas obligatoire.

Important: pensez à remettre un peu de levure fraîche au moment de la mise en bouteille, après ces longs mois de vieillissement.

bouteille

De nombreuses bières acides sont complètement plates lors de la mise en bouteille. Attention au calcul car pour des bières “normales” les calculateurs assument qu’il reste encore 0,5 à 0,8 vol de CO², donc vous risquez d’être en dessous de la carbonatation désirée.

Parfois certaines caractéristiques peuvent temporairement apparaître après la mise en bouteille. Dans ce cas il suffit juste d’attendre que tout rentre dans l’ordre.

Une fois mise en bouteille, le vieillissement est identique à n’importe quel autre type de bière. Plus la température est élevée plus la bière changera et changera vite.

Ça vaut également le coup de garder quelques bouteilles de coté et voir comment elles évoluent avec les années.

Un grand merci au Mad Fermentationist pour l’autorisation d’interprétation de son article en français. Michael Tonsmeire est un grand monsieur du monde brassicole américain, un des brasseurs amateur les plus talentueux. Il est aujourd’hui consulté par des brasseurs tels que Modern Times dont il a dessiné la plupart des recettes mais aussi par les institutions américaines telles que le BJCP lorsqu’il s’est agit de refondre leur classification en 2015.

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A propos de matthieu

Matthieu Rolland est un mec qu’il est interdit d’appeler Matthieu, ou Rolland, car son vrai blason est bel et bien « Matthieu Rolland ». Troubadour déluré au crane dénudé, ce joli brin de jeune homme n’est rien de moins qu’un super-héros des temps modernes. Mais quel est donc son super-pouvoir ? Voir la description complète de Matthieu→ Matthieu est aussi créateur d'une future microbrasserie dans le Sud de la France, pour suivre ce projet, suivez la page Facebook de la brasserie Rolland.

5 commentaires to “Brasser une bière acide (sour beer) à la maison”

  1. Walter Pépéka a dit :
    avril 29, 2016 at 12:39 pm

    Concernant l’hygiène, je peux vous assurer que même des « pratiques d’hygiène standard » (comprendre celles appliquées par les brasseurs amateurs du dimanche) sont insuffisantes… Les professionnels vont jusqu’à posséder des locaux séparés avec groupe de mise en bouteille dédié. Et je puis vous assurer de la difficulté à se débarrasser d’une bactérie ou levure indésirable! ;-))

    • matthieu a dit :
      avril 29, 2016 at 3:06 pm

      je me doutais que j’aurais des commentaires la dessus! merci pour la remarque, ca me permet de développer ma remarque laconique. je maintiens que si votre hygiène est irréprochable, ce qu’elle devrait-être pour chaque brassin, sour ou pas sour, brett ou pas brett (désinfection systématique et minutieuse de tout ce qui touche à la bière post ébullition, utilisation de containers sans microfissures (autre avantage du verre VS plastique), désinfection des sols…) ça devrait être OK. c’est différent pour les futs. les bactéries peuvent se cacher profondément dans le bois, dc difficilement accessible par un produit, et il n’est pas toujours possible de les tuer à la chaleur, le bois étant un isolant thermique. après si vous n’êtes pas sûr ou que vous savez que votre hygiène n’est pas au top et que ca vous suffit, alors oui il vaut mieux avoir 2 équipements séparés! je pense (je ne suis pas pro) que pour les pros c’est différent: il est beaucoup plus difficile de stériliser une machine pour mettre en bouteille par ex, à moins de la démonter entièrement. le bouquin que je cite (american sour beers) présente de nombreuses brasseries (US) et leur processus. pas toutes ont 2 systèmes, et celles qui n’en ont que un pour les sour ET non sour ont des pratiques d’hygiène assez drastiques mais fonctionnelles. je vous recommande cette lecture si ce sujet vous intéresse!

      • Walter Pépéka a dit :
        avril 29, 2016 at 5:14 pm

        Merci pour le conseil! Je vais regarder pour le bouquin!

        • matthieu a dit :
          avril 29, 2016 at 7:22 pm

          pas de quoi! en fait la grosse difference entre brett et levure du brasseur traditionnelle c’est qu’il en suffit de tres peu pour developper des gouts perceptibles, d’ou le surcroit d’attention sur l’hygiene

  2. Bonjour Matthieu, merci pour votre article très intéressant! J’ai récemment tenté une recette de « squash wild ale » du livre « fermented man » de Derek Dellinger. J’ai fabriqué moi-même la levure par lacto-fermentation de courges, et après 3 semaines dans le fermenteur je suis un peu inquiet à cause de la présence d’une pellicule similaire à celle sur votre photo (le terme est « kahm yeast » en anglais). Je dois avouer que je suis novice pour ce qui est du brassage 🙁
    Pensez-vous que la présence de cette pellicule est rhédibitoire et que je doive jeter tout le batch? Merci pour votre aide.

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