Stop à l’IBU ! Place à l’amertume relative…
Le houblon est à la bière ce que le sel est à l’assiette. Il permet de contre-balancer la douceur sucrée de la bière. A l’heure où l’amertume de l’India Pale Ale est de plus en plus recherchée, il convient d’apporter un éclairage sur une donnée bien plus importante que l’indice d’amertume (IBU) à savoir… l’amertume relative !
Pour commencer cet article rappelons que le houblon, petite fleur de la famille des cannabinacées, apporte deux éléments à la bière :
- L’amertume
- Les arômes : fruits tropicaux, agrumes, résines, herbes, terre
Le houblon apporte l’amertume nécessaire à la bière pour balancer sa base sucrée. En effet, pour faire de la bière, on fait chauffer des céréales dans de l’eau chaude afin d’en extraire le sucre. Cela donne un jus sucré appelé le moût. C’est ce qui permet, après fermentation de créer de l’alcool. Heureusement, l’histoire a fait qu’un jour par hasard quelqu’un a décidé de mettre du houblon dans sa cervoise créant de ce fait la bière que nous connaissons de nos jours. D’années en années, la bière a connu des temps hauts et des temps creux comme la prohibition aux États-Unis ou les Guerres Mondiales en Europe qui ont fortement altérée sa production. Depuis son retour sur le devant de la scène, en partie à l’aide des États-Unis, l’utilisation du houblon est de plus en plus importante. Finalement, l’ajout du houblon dans la bière, c’est un peu comme ajouter du beurre dans les épinards. Les épinards c’est bon, c’est diététique mais avec un peu de beurre c’est tellement meilleur. Le houblon vient tellement bien sublimer la bière grâce à l’amertume qu’il apporte que l’on en oublie souvent que pour faire de bonnes épinards, il faut d’abord que les épinards soient fraîches. Le houblon permet de sublimer la bière mais n’oublions qu’il s’agit avant tout d’une histoire de céréales.
IBU par-ci, IBU par là !
L’amertume fait son retour sur le devant de la scène, si bien que tous les amateurs de bières amères scrutent soucieusement l’indice d’amertume (IBU: International Bitterness Units) de leurs India Pale Ales, style forcément roi de l’amertume. Certains poussent le vice jusqu’à commercialiser stupidement des bières sous l’appellation 1 000 IBU. Une aberration lorsque l’on sait que le palais humain n’est capable que de ressentir une amertume de 120 IBU maximum. D’ailleurs, d’un point de vue producteur, je ne pense pas qu’il ne soit possible de pouvoir extraire 1 000 unités d’amertume dans une bière (si quelqu’un peut me confirmer ça).
Peu importe, l’amertume est à la mode, l’IBU devient alors une donnée précieuse que tous les amateurs de bières veulent connaître pour choisir leur bière. Sur vos bouteilles de bières artisanales vous verrez souvent cet indice. Or, au risque d’en choquer plus d’un, l’IBU ne rime à rien ! Pourquoi ? Parce que tout dépend du contexte. Tout dépend dans quel type de bière est placée cette amertume.
Parlons plutôt d’amertume relative (BU / GU)
A Portland (Oregon), capitale mondiale de la bière artisanale à mon sens, les bars ont pour habitude d’indiquer une autre donnée que l’IBU sur leur carte des bières, à savoir la densité initiale des bières (densité avant fermentation appelée OG en anglais : Original Gravity). Au départ, je me suis dis qu’ils étaient quand même complètement fêlés ces Américains ! A quoi bon cette densité initiale peut être un critère de choix pour le consommateur de bière ? Avec plus de recul et de nombreuses lectures, j’ai enfin compris pourquoi cette donnée (ex: OG. 1 080) peut s’avérer précieuse. Elle permet clairement de donner du sens à l’indice d’amertume. Je veux dire par là que 80 IBU ne se ressentira pas de la même manière dans une bière très dense (OG: 1 090) que dans une bière très légère (OG: 1 050). Tout cela pour la simple raison que la bière n’est qu’une question de balance. L’amertume permet de contrebalancer le corps sucré de la bière. Trop d’amertume dans un corps maigre amènera un déséquilibre. A l’inverse, peu d’amertume sur un corps épais rendra l’amertume insignifiante, bien que cela puisse être recherché dans un style de bière où la base maltée est plus importante.
L’amertume relative permet au dégustateur de mieux prévoir l’amertume qu’il va ressentir en bouche. Il suffit de faire un calcul très simple et très évocateur. Prenons quelques exemples précis pour y voir plus clairs :
Calcul de l’amertume relative d’une Bière de Blé Bavaroise (Weizen)
- Densité Initiale (OG) : 1 050
- IBU : 10
BU / GU = 10 / 50 = 0,20*
(Bitterness Unit / Gravity Unit)
Calcul de l’amertume relative d’une India Pale Ale Américaine (IPA)
- Densité Initiale (OG) : 1 065
- IBU : 50
BU / GU = 50 / 65 = 0, 77*
(Bitterness Unit / Gravity Unit)
*Pour calculer l’amertume relative (GU), retirer les deux premiers numéros de la densité initiale (aka. OG) (ex: 1 050 = 50)
Voici un graphique très parlant extrait de Tasting Beer par Randy Mosher évoquant les différents styles et leur amertume relative.
Image: Tasting Beer, Randy Mosher
Voici la solution simple pour calculer votre amertume relative. De quoi vous donner un bien meilleur aperçu de l’amertume que vous allez ressentir. Mais ce n’est pas tout, si vous voulez disposer d’une donnée encore plus précise, il faudra pousser le calcul un petit peu plus loin en prenant en compte un dernier facteur.
Le calcul avancé de l’amertume relative (RBR)
Les américains parlent de RBR pour Relative Bitterness Ratio (Ratio d’Amertume Relative). Ce ratio prend en compte un facteur important dans le ressenti de la dégustation, à savoir la quantité de sucres résiduels présents dans la bière. Comme vous le savez surement, la bière est créée par des levures qui mangent du sucres pour créer de l’alcool. Or, ces levures ne sont pas capables de manger tous les types de sucres existants, elles ne s’attaquent qu’aux plus simples. Bien entendu, il existe des sucres plus complexes qui résistent aux levures et resteront tels quels dans la bière, c’est ce que l’on appelle les sucres résiduels. Certains styles comme les Scotch Ales Écossaises disposent volontairement d’une grande proportion de sucres résiduels. Il se trouve que plus la quantité de sucres résiduels est importante plus la bière sera ressentie « sucrée » plutôt qu’« amère ». En prenant en compte la quantité de sucres présents après que la fermentation soit terminée et la quantité de sucres présente avant cette même fermentation, nous sommes capables de relativiser encore mieux cette amertume ressentie. Il s’agit en fin de compte de prendre en compte l’atténuation, c’est-à-dire, la quantité de sucres transformées par les levures en alcool (exprimée en %, voici comment la calculer). En moyenne, cette atténuation est de 76,55%, tout style de bière confondu.
En conclusion, notre calcul magique devient :
RBR = (BU / GU) x ( 1 + (ADF – 0,7655))
Calcul du Ratio d’amertume relative pour notre Bière de Blé Bavaroise
- Densité Initiale : 1050
- IBU : 10
- ADF: (1050 – 1012) / (1050 – 1001) = 77,55%
RBR = 0,2 * ( 1 + 0,7755 – 0,7655) = 0.2 * 1,01 = 0, 202
Calcul du Ration d’amertume relative pour notre India Pale Ale américaine
- Densité Initiale (OG) : 1 065
- IBU : 50
- ADF: (1065 – 1014) / (1065 – 1001) = 79,69%
RBR = 0,77 * ( 1 + 0,7969 – 0,7655) = 0,79
Calcul du Ration d’amertume relative avec une bière de même IBU, de même densité initiale mais de densité finale différente
Comme vous pouvez vous en apercevoir, meilleure est l’atténuation de votre bière, moins de sucres résiduels seront présents dans la bière et plus l’amertume sera ressentie. En définitive, deux bières avec le même IBU (50) et la même densité initiale (1065) n’auront pas la même amertume si l’atténuation est de 55% ou de 85%. Le ressenti amer sera bien plus présent dans la bière à 85% où tous les sucres auront été transformés en alcool. Pourtant, le taux d’alcool sera bien plus important. Attention donc à ne pas raccourcir densité initiale, taux d’alcool et amertume ressentie. Dans le cas évoqué ci-dessus, la bière la plus alcoolique (85% d’atténuation) sera clairement la plus amère que la bière la moins alcoolique (55% d’atténuation).
- Densité Initiale (OG) : 1065
- IBU : 50
- ADF : 55%
RBR = 0,77 * ( 1 + 0,85 – 0,7655) = 0,60
- Densité Initiale (OG) : 1065
- IBU : 50
- ADF : 85%
RBR = 0,77 * ( 1 + 0,85 – 0,7655) = 0,84
L’amertume ressentie de la bière à 85% d’atténuation est de 0,84 (très amère) tandis que celle de la bière atténuée à 55% est de 0,60 (amère).
Quelques chiffres pour les principaux styles de bière
Pour les amateurs de chiffres, voici quelques chiffres d’amertume relative pour les styles de bières les plus traditionnels d’après Designing Great Beers de Ray Daniel :
- Alt‐.70
- Kolsch‐ .53
- Barley Wine‐ .94
- Ordinary bitter‐ 1.28
- Special Bitter‐ .73
- Extra Special Bitter‐ .73
- Pale Ale‐ .91
- IPA‐ 1.10
- Bock‐ .34
- Helles‐ .36
- Doppel‐ .33
- Eisbock‐ .26
- Mild Brown‐ .64
- English Brown‐ .56
- American Brown‐ .95
- Old Ale‐ .58
- Bohemian Pils‐ .75‐.85
- German Pils‐ .68‐.80
- Dortmunder Export‐ .40‐.60
- Munich Helles‐ .38‐.48
- Brown porter‐ .55‐.72
- Robust Porter‐ .61‐.93
- Scottish Ale .3‐.5
- Octoberfest‐ .42‐.50
- Wheat‐ .14‐.34
- Classic Stout‐ .8‐1.20
- Foreign Stout‐ .9
- Sweet Stout‐ .3‐.5
- Imperial Stout‐ .9
Je terminerai cet article par le graphique ci-dessous qui exprime à merveille le propos tout en couleur :
Image à la une : Jeka84 sur ShutterStock
juin 8, 2015 at 7:11 pm
Merci. Je pensais être tout seul à penser qu’il devait y avoir une relativisation à calculer en rapport à la densité résiduelle et les ABV.
juin 9, 2015 at 8:38 pm
Méfiance avec les ABV cependant ! ;).
juin 8, 2015 at 8:52 pm
Très bon article.
Voilà qui relativise cette course à l’IBU
juin 9, 2015 at 8:41 pm
Merci ! En effet, la course à l’IBU n’a pas de sens.
juin 9, 2015 at 9:52 am
Voilà qui confirme mon impression. Sur mes deux derniers brassins d’IPA, même IBU à peu près, même OG, mais le premier termine à 1.012 alors que le second à 1.008 (différente quantité de levure à l’ensemencement).
La différence de perception d’amertume est vraiment importante.
Amer très prononcée pour le brassin fortement atténué, beaucoup plus équilibré pour le brassin plus sucré.
Depuis lors je me disais qu’il y avait un problème à considérer l’IBU hors contexte, merci pour l’éclairage 🙂
juin 9, 2015 at 8:43 pm
Je suis enchanté que l’article puisse d’être utile. Je suis quand même surpris que 6 points de sucres résiduels puisse changer autant la perception. Amuse-toi à faire le calcul, la densité finale importe mais quand même à degré moindre.
As-tu houblonné exactement de la même manière ? Es-tu certain d’avoir le même IBU ?
juin 10, 2015 at 6:41 pm
Super article ! J’utilise personnellement le dernier graphe couleur pour expliquer cette relativité lors de mes cours (je donne des cours de brassage de bière à domicile). Je ne connaissais néanmoins pas les formules pour calculer l’IBU relatif, je l’utiliserai probablement à l’avenir. En ce qui concerne la 1000 IBU, c’est bien théoriquement possible, en utilisant de l’extrait de houblon pré-isomériser, c’est à dire une extrait déjà amère. Rajouté après la filtration de la bière fermentée et juste avant l’embouteillage, on peut monter théoriquement à l’IBU souhaité, même le plus farfelu. J’ai gouté cette fameuse bière et je dois dire que mon palais était saturé, c’est le moins que je puisse dire, mais toute une bouteille n’est pas vraiment buvable. Néanmoins, joli coup de buzz que l’on peut reconnaitre à Mikkeler. Pour terminer, je dirais que personnellement, ce sont les Impérials Blacks IPA que j’adore, car si nous relativisons à l’aide des densités, il est par contre difficile de le faire et de chiffrer le goût rendu par le malt.. A quoi bon en même temps, tout les goûts sont dans la nature ! Santé !
juin 13, 2015 at 10:24 pm
Merci pour la réponse à propos de la 1000 IBU Antoine.
Il existe pourtant bien quelque chose pour chiffrer le goût des malts, c’est ce que l’on appelle l’EBC en Europe ou le SRM aux États-Unis.
Malheureusement, il ne prend pas en compte le taux de moisissure du grain et la quantité de sucres non fermentescible qu’il va créer mais finalement, c’est donnée pourra se retrouver à l’aide de la densité finale.
Bref, cela pourrait être très intéressant de placer les bières dans des cases à travers ces quatre données : EBC, IBU, OG et FG. On aurait quand même une bonne idée de ce qu’est la bière…
juin 15, 2015 at 3:05 am
Hello, merci en effet pour cet article très intéressant.
Je parle assez souvent à mon entourage (quand je leur donne des explications) de « triangulaire » à respecter, cad le ratio alcool / amertume / sucres résiduels. Avoir un écart trop important de l’un sans l’autre revient à faire une bière non équilibrée.
Pour la mesure du malt via les EBC, je mettrais un bémol à cette possibilité car il existe du malt « désamérisé » (debittered) qui gardera le même nombre d’EBC pour un goût beaucoup moins prononcé. Et je ne parle pas de cold steeping qui est la version intermédiaire.
juin 16, 2015 at 8:53 pm
Tiens je n’ai jamais entendu parlé de ce genre de malt désamérisés ! Il s’agit de malt qui n’influencerons pas le PH de l’eau je suppose ? Bien entendu, le PH de l’eau influence normalement l’IBU théorique mais bon, difficile d’intégrer tous les paramètres dans cette formule.
juin 16, 2015 at 5:01 pm
Très bel article.
Je ne retrouve plus le lien, désolé, mais la 1000IBU de Mikkeller a été testé par 2 labos différents et à mon souvenir, un labo a trouvé 95 et l’autre autour de 110. Donc moins que d’autres IBU mesurés chez Lagunitas par exemple où ils arrivent à en extraire jusqu’à 120-130 avec des doses de mammouth…
L’amertume relative à l’OG et l’ADF est très bien je trouve. Mais cet exemple de la 1000IBU soulève aussi une question très intéressante : quasiment aucune brasserie n’a les moyens de mesurer ses IBU, hors, les calculs sont complètement faux dès qu’ils dépassent l’échelle allant de 0 à 30-40 en gros (je crois que c’est Ray Daniels qui discute ça, désolé je ne me souviens plus non plus de la source…).
Donc en conclusion, même si on peut utiliser les superbes formules de RBR, le fait de n’avoir qu’un IBU mesuré est reste approximatif. Ca permet au moins de se repérer par rapport à un matériel donné pour ses propres bières. J’ai déjà brassé des DIPA dépassant les 200 IBU théoriques, et c’est loin d’être imbuvable, au contraire 🙂
juin 16, 2015 at 8:39 pm
Merci Simon !
Il était important de préciser que l’IBU exact ne se mesure qu’en laboratoire. Voilà une bonne chose de faite.
juillet 8, 2015 at 3:31 pm
Plop,
Article de qualité, as usual, mais il serait tout de même judicieux et appréciable pour les lecteurs de citer clairement ses sources, aussi anglophones soient-elles.
Si je ne me trompe pas, le gros vient de cette page-ci: http://www.madalchemist.com/relative_bitterness.html
À défaut, il faudrait au moins citer le nom de la personne derrière ces histoires d’amertume relative, Ryan Shwayder, a.k.a. The mad Alchemist, comme celà est clairement et poliment mentionné et demandé en bas de la page dont l’url est donnée ci-dessus.
Au plaisir
loulou
juillet 9, 2015 at 1:41 am
Hello,
J’apprécie particulièrement cet effort pour revenir à la source car je dois avouer que je n’étais même pas tombé sur cet article que tu nous donnes ci-dessus (j’avais trouvé la formule ici : http://www.pencilandspoon.com/2012/11/forgot-ibu-think-about-bugu.html).
Pour finir de compléter les sources, dans mon article j’évoque également Tasting Beer de Randy Mosher et Design Craft Beer de Ray Daniel.
Merci.
janvier 22, 2018 at 6:20 pm
Concernant les bières qui annoncent 1000 IBU, c’est ridicule car les IBU sont de toutes façon limités par la solubilité des acides alpha dans l’eau. Si on prend comme ba
janvier 22, 2018 at 6:27 pm
Concernant les bières qui annoncent 1000 IBU, c’est ridicule car les IBU sont de toutes façon limités par la solubilité des acides alpha dans l’eau. Si on prend comme base : 1IBU = 1ppm acide iso alpha, on est limité à 90 IBu (source : Thèse de Mark G. Malowicki : Hop Bitter Acid Isomerization and Degradation Kinetics in a Model Wort-Boiling System)