Peut-on planter du houblon dans son jardin ?
Ça faisait un moment que je voulais planter un pied de ma plante grimpante favorite dans le jardin. Un beau jour de Mars, je me rends tout excité sur mon site de vente de produits brassicoles favori pour acquérir un précieux rhizome de Citra.
Quelle ne fut pas ma déception de voir que cette variété faisait partie de la longue liste des variétés de houblons “propriétaires” qu’on n’a pas le droit de planter chez soi…
Cette petite frustration était l’occasion de comprendre le système de propriété intellectuelle dans le domaine du houblon, de voir pourquoi le Certificat d’Obtention Végétale permet de favoriser la recherche du développement de nouvelles variétés et que contrairement à d’autres domaines, cette application au houblon du brevetage sur le vivant semble utilisée sans accrocs.
Le concept du brevet
Un brevet classique permet à l’auteur d’une invention ou d’un procédé d’en avoir l’exclusivité d’exploitation commerciale. Le produit ou le procédé doit être nouveau. Et si une entreprise ou une personne veulent utiliser une invention brevetée, elles doivent obtenir une licence d’exploitation de l’inventeur et devront payer des redevances (royalties). Le brevetage encourage la recherche privée en permettant à l’inventeur (ou son employeur) de profiter du fruit de son travail.
Le Certificat d’Obtention Végétale
Pour les variétés végétales, on ne parle pas de « brevet » mais de « protection variétale ». Elle se fait par obtention d’un Certificat d’Obtention Végétale (COV).
- Le COV français est délivré par l’Instance Nationale des Obtentions Végétales
- Le COV communautaire est délivré par l’Office Communautaire des Variétés Végétales.
La durée de vie d’un COV pour le houblon est de 25 ans. Durant ce temps, tant que le détenteur du COV veut garder son titre de propritété, il doit payer des taxes annuelles croissantes*.
Celui qui a investi dans le développement de nouvelles variétés de houblon, pourra ainsi garder le contrôle sur ses variétés, et profiter le cas échéant de leur utilisation par une tierce partie.
Par exemple pour faire pousser de l’Aramis, du Bouclier ou du Triskel, il faudra demander l’autorisation à la Cophoudal qui a déposé ces variétés en 2011 et 2012.
Bernadette LAUGEL, Cophoudal, témoigne de l’intérêt pour eux du COV:
“Comme tous les producteurs de houblon alsaciens (conventionnel ou bio) font partie de la coopérative, il n’y a aucun problème de distorsion ou autre. Ils ne payent pas de royalties. Cela évite simplement que d’autres pays producteurs puissent les planter et en vendre la production alors que nous y avons consacré beaucoup d’énergie, de temps et de travail que ce soit pour la création de la variété (croisements, notations, tests, sélection) ou pour la faire connaitre auprès des brasseurs. »
En effet, développer ces nouvelles plantes est très onéreux. Il peut se passer plus de 10 ans entre le premier croisement et la mise sur le marché d’une variété. Et pour chaque variété déposée, plusieurs millions sont abandonnées en route (chapitre 3).
En ce qui me concerne, pour cultiver du Citra il faut obtenir une autorisation de the Hop Breeding Company, qui a déposé la variété en 2007.
Historique du développement de nouvelles variétés de houblon
Les variétés de houblon, n’ont pas toujours été protégées par ce système, comme nous l’explique Bernadette LAUGEL.
“Autrefois, les variétés de houblon n’étaient pas protégées car c’étaient des variétés historiquement cultivées dans les différentes régions. Les 1ères variétés sélectionnées par les grands pays producteurs de houblon ne l’étaient pas non-plus. Cela a changé depuis une vingtaine d’année car le marché est très concurrentiel.”
Historiquement, les plantes évoluaient au rythme des sélections d’une année sur l’autre des meilleurs plants. A partir du début du 20ème siècle, avec le développement de la recherche et des techniques de sélection et d’hybridation tout s’est accéléré.
Dans un premier temps, le développement de nouveaux plants était focalisé sur des variétés plus résistants au mildiou, avec de meilleurs rendements et contenant plus d’alpha acides (le composé à l’origine de l’amertume). Ainsi, des houblons traditionnels (Goldings, Tettnanger,…) contenant en général 3-4 % d’alpha acides, on est passé au Cascade (1972) qui contient dans les 7% d’alpha acides, et par une multitude d’autres plants dont le Centennial (1990, 10%) jusqu’a l’Apollo (2006) qui peut monter jusqu’à 19%!
En parallèle, à partir des années 80, certains brasseurs novateurs américains se sont rendu compte que ces nouveaux plants possédaient également des propriétés aromatiques intéressantes. Ils s’en sont servi pour développer et mettre sur le devant de la scène les styles emblématiques du mouvement craft: American Pale Ale et India Pale Ale en tête de file. La popularité de ces styles a à son tour encouragé le développement de nouvelles variétés, mais ce coup ci c’est le coté aromatique qui était mis en avant. A tel point qu’aujourd’hui la recherche se focalise principalement sur ce dernier aspect.
Ainsi, chaque année, de plus en plus de nouvelles variétés sont mises sur le marché permettant aux brasseurs de laisser libre cours à leur imagination et aux consommateurs de découvrir de nouvelles saveurs.
Conclusion
Dans le domaine du houblon, la Certification d’Obtention Variétale permet donc d’encourager le développement de nouvelles variétés, en permettant aux organismes les ayant créées de garder le contrôle sur la plante pendant 25 ans avant qu’elle ne tombe dans le domaine public.
Ces variétés apportent des propriétés nouvelles et intéressantes. Pour le producteur: résistance accrue aux maladies et meilleurs rendements. Pour le brasseur: plus d’alpha acides donc plus rentables. Pour le consommateur: nouveaux styles, nouvelles saveurs.
Ceux qui ne veulent pas payer de royalties peuvent cultiver les variétés historiques, celles tombées dans le domaine public ou celles développées par des programmes publics.
Jusqu’à cette petite recherche, j’étais plutôt hostile au principe de brevetage sur le vivant. Mais l’exemple du houblon montre bien que le problème, lorsque problème il y a, ne vient pas du principe même de brevetage mais des abus qui en sont faits: imposer des plants brevetés à l’agriculteur, contourner les règles pour déposer des plantes historiques, etc. Pour le houblon, qui est utilisé dans le cadre d’une consommation de loisir, le brevetage semble bénéficier à l’ensemble du secteur. Sauf peut-être au jardinier du dimanche!
Mais il faut que je me rende à l’évidence. Sans système de protection, mon pied de Citra n’aurait probablement jamais été développé et pour résumer le tout dans un paradoxe digne de Stephen Hawking: si je pouvais le planter, il n’existerait pas!
Après toutes ces émotions, il ne me reste plus qu’à me décapsuler une petite Citra Pale Ale faite maison, et regarder pousser tranquillement mon pied de Chinook!
En bonus voici une petite table de houblons propriétaires connus avec leur date de mise à disposition du public**:
Amarillo | 2025 |
Bravo | 2031 |
Citra | 2032 |
El Dorado | 2035 |
Mosaic | 2037 |
Nelson Sauvin | 2025 |
Simcoe | 2025 |
* cf. commentaires pour les détails
** Année de mise sur le marché +25.
mai 8, 2015 at 4:48 pm
Super article! 🙂
mai 8, 2015 at 5:08 pm
ah ben merci!
mai 9, 2015 at 4:39 am
Question: imaginons que tu veuilles te la jouer clandestin, c’est possible ? Genre, le Citra c’est introuvable en plant ? Parce que si tu plantes du Citra pour ta propre consommation, je doute que la ferme américaine vienne te trouver.
mai 9, 2015 at 9:18 pm
Ben du coup la seule manière de pouvoir faire pousser chez soi du Citra c’est de faire une opération commando de nuit et de piquer un rizhome… ce qui est illégal
mai 11, 2015 at 9:03 am
Bonjour,
Merci pour cet article…
Concernant les redevances annuelles pour le maintien de la validité du certificat, voici les infos de 2014. Par contre, il y a également des redevances à payer au moment de la demande et au cours de la procédure avant l’obtention du certificat…
Pour les espèces de catégorie A (plantes de grande culture sauf riz et lin, plantes horticoles et potagères, fraisier, plantes ornementales cultivées pour la fleur coupée): 1ère annuité = 39,03 € / 2ème annuité = 54,73 € / 3ème annuité = 70,28 € / 4ème annuité = 93,76 € / 5ème annuité = 117,23 € / 6ème annuité et plus = 140,71 €
Pour les espèces de catégorie B (arbres fruitiers et forestiers, arbustes à baies ou à petits fruits, lin, riz, vigne) : 1ère annuité = 23,48 € / 2ème annuité = 31,25 € / 3ème annuité = 39,03 € / 4ème annuité = 46,80 € / 5ème annuité = 62,50 € / 6ème annuité et plus = 93,76 €.
Pour les espèces de catégorie C (plantes et arbustes ornementaux cultivés uniquement pour le jardin ou en pot, lavande, lavandin, thym) : 1ère et 2ème annuités = 15,70 € / 3ème et 4ème annuités = 31,25 € / 5ème annuité et plus = 46,80 €.
Cdlt,
mai 11, 2015 at 8:07 pm
Merci beaucoup pour ces infos. Je vais mettre un lien dans l’article vers votre commentaire détaillé. De quel COV s’agit-il? Pour la France?
mai 11, 2015 at 7:54 pm
Super, très intéressant!!
Florent
mai 11, 2015 at 8:08 pm
Merci 🙂
mai 19, 2015 at 10:45 am
Super intéressant Matthieu !! 🙂
novembre 27, 2016 at 10:54 am
Super article, merci! C’est dommage que les houblons de mes bières favorites soit tous interdit à cultiver à la maison!
novembre 29, 2016 at 9:48 am
Merci!
décembre 21, 2016 at 11:38 am
Super article que je viens de découvrir avec un peu de retard… Du coup est-il possible de savoir quels houblons sont protégés ou pas en dehors de ton tableau ? Ou peut-on trouver ces infos quand on et un anglophone médiocre ?
Je souhaite planter chez moi mais ne veux pas être « hors la loi ».
septembre 15, 2018 at 7:28 pm
Bonjour,
En promenade aujourd’hui le long de la Doller, petite rivière du Haut Rhin, j’ai trouvé du houblon accroché à des noisetiers. J’en ai récupéré un morceau de liane pour tenter d’en faire un plant.
Par contre comment savoir à quelle variété appartient ce houblon ?
janvier 20, 2021 at 1:45 am
Le brevetage est souvent abusif car il ne reconnait pas le travail que des centaines de générations d’agriculteurs on fait avant pour donner un produit presque parfait qu’il a suffit de selectionner une petite dizaine d’année pour le « personalliser »…
Si les agriculteurs du monde entier avait breveté leur produits plutôt que de les offrir au système monde on mangerait pas grand chose aujourd’hui….
C’est ecnore ce délire de l’homme tout puissant qui crée…sans reconnaître qu’il crée à partir de quelque chose et tout le temps avec d’autres choses (être vivants ou non) qui eux ne verront jamais la monnaie de la pièce.
La moindre des choses si on monnaie le temps passé par l’être humain à améliorer une variété, c’est de monnayer le temps que passe un vers de terre à créer du sol, monnayer le temps qu’une abeille passe à polleniser une fleur monnayer le temps que passe une orchidée à se changer elle même pour échaper à un prédateur, et ce prédateur pour avoir incité l’orchidée à changer sa nature et créer une nouvelle variété d’orchidée..
Bref.. dans la nature rien n’a de prix, c’est absude vraiment absurde de monopoliser le savoir.y’a que les humains pour être aussi prétentieux…La vie change chaque jours et s’interconnecte, évolue et ça sans que personne ne lui rende ni glore, ni lui foute la paix et arrête l’extinction de masse.
La logique du brevet, c’est la logique du capitalisme et le capitalisme par sa prédation sur la nature est ce qui la/nous détuit. Alors merde aux brevets, merde au capitalisme, et vive la liberté de création…