La fermentation spontanée: le Lambic (1/3)
Nous allons entamer ici le début d’une série d’articles portant tous sur le même sujet, à savoir le lambic. Nous avons pu réunir une masse d’informations hors norme sur ce thème et c’est pourquoi il nous paraît cohérent de vous les livrer sous une forme plus agréable qu’un pavé de 10 pages. Commençons aujourd’hui par étudier le lambic en lui-même.
Partie 2: Le FaroPartie 3: La Gueuze
Les bières que l’on boit aujourd’hui, même produites par de petites brasseries, restent terriblement éloignées de celles de l’avant XVIIIème siècle. Les styles qui existaient jadis ont totalement disparu ou, dans le meilleur des cas, ont largement été modifiés, réadaptés et réinterprétés par les brasseurs des générations suivantes. Nous qualifierons ce que nous avons l’habitude de boire aujourd’hui de bières modernes. Les bières artisanales de notre époque sont fabriquées avec des matières premières de meilleures qualités (le travail en malterie est plus précis, on utilise en partie des variétés de houblons créées par l’Homme qui ont de meilleurs rendements, et les levures sont cultivées dans du matériel de brasserie immensément plus sophistiqué). Cependant, parmi elles, le lambic reste exception.
Histoire du lambic
Il est effectivement le dernier style de bière dont la souche de levure est toute autre, le dernier style de bière qui nous permet de nous rendre globalement compte de ce que pouvait boire les bruxellois – le terme lambic puiserait ses origines dans l’actuelle commune du Brabant Flamand, Lembeek – il y a plusieurs siècles. De tous les styles de bières existant actuellement, le lambic en est le plus ancien. Il n’est de fait pas étonnant qu’une bière pouvant se vanter d’une telle richesse historique eu tant fait vibrer le cœur des gourmets, historiens et divers écrivains.
Remy le Mercier, receveur de la ville de Halle, à quelques kilomètres de Bruxelles, fait illusion au lambic dans un texte datant de 1552. Et depuis près de six siècles maintenant, le lambic est brassé de la même manière, celle précisément décrite par Monsieur Le Mercier. Il note : présence de blé en plus de l’orge, absence du goût des houblons, application d’une fermentation spontanée, vieillissement en tonneaux, brassage au rythme de saisons.
Fermentation spontanée, qu’est-ce cela signifie ?
Pour les néophytes, il faut savoir qu’il peut exister trois processus pour faire fermenter sa bière : une fermentation haute (entre 15 et 25 degrés) pour les Stouts et différentes Ales par exemple, une fermentation basse (entre 4 et 12 degrés) utilisée pour faire une lager ou une pils entre autre, et une fermentation spontanée qui nous donnera essentiellement une bière dite Lambic (informations supplémentaires sur la différence ale et lager). Ce breuvage n’est pas élaboré ex nihilo. C’est un processus très complexe qui se met à l’œuvre lors de la fermentation. Le lambic est le seul réel style de bière à encore être fermenté de la sorte, un comble ! Avant la découverte de Louis Pasteur sur la maîtrise des levures au XIXème siècle, chaque recette nécessitait cette même fermentation spontanée. L’air ambiant, celui qu’on respire, est rempli de levures. C’est avec elles que les brasseurs de lambic vont travailler pour transformer leur jus de céréales en boisson alcoolisée ; alors que nos contemporains font fermenter leurs moûts avec des levures qui sont, soient élevées en laboratoires, soient cultivées à partir d’un précédent brassin.
Où trouve-t-on ces levures sauvages pour faire du lambic ?
On accorde aux légendes urbaines, que seuls les micro-organismes présents dans l’air ambiant de la région de Bruxelles, qui longe la Senne (la rivière qui traverse notamment la capitale belge), seraient capable de donner naissance aux lambics. Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas entièrement vrai non plus. Il est certain que ce processus est très complexe, et que le reproduire dans un autre environnement géographique, et donc dans une autre forme d’atmosphère, ne nous mènerait pas aux mêmes résultats. Néanmoins notre Lambic tombée du berceau n’avancerait pas nécessairement dans le sens opposé. On a pourtant longtemps cru à cette théorie, au moins jusqu’en 1904, où l’on a pu déceler ces mêmes levures dans une bière anglaise.
Au total, ces levures aux noms barbares (Brettanomyces, raccourci en Bretts), sont au nombre de dix. On peut en compter neuf dans le lambic, dont les deux plus célèbres, les deux plus actives : Brettanomyces Bruxellensis et Brettanomyces Lambicus. Même si l’on peut retrouver ces levures en d’autres lieux, Bruxelles et ses environs restent la référence. Le terme rentre d’ailleurs dans le cadre d’une STG (Spécialité Traditionnelle Garantie, une appellation protégée par l’Union Européenne), qui oblige tous brasseurs étrangers à vouloir brasser du lambic, à respecter et correspondre à la tradition belge.
Comment est fabriqué le lambic ?
L’empâtage
Pour l’empâtage (lorsque le brasseur mélange ses céréales concassées avec de l’eau chaude), comme pour les blanches, les weizenbier, ou les berliner weisse, le lambic est fabriqué avec une proportion de blé en plus de l’orge. Traditionnellement, la composition est de deux tiers de malt d’orge de type pils 3EBC pour un tiers de blé (le lambic est donc une bière blonde, qui au final, atteint environ 12 EBC et 5% vol. alc).
En général les brasseurs d’ales cuisent leurs céréales pendant environ 70 minutes. Les brasseurs de lambics quant à eux, parlent d’une période plus longue, qui peut atteindre selon les brasseries, 4 à 6 heures. Tout ça dans le but d’extraire davantage d’amidons et de former un moût où seuls les micro-organismes déterminés peuvent survivre.
Le houblonnage
Au niveau des houblons, ça se complique une nouvelle fois (décidément, quelle bière !). Le houblon frais est une fleur amère et aromatique à la fois. Et pour que le lambic se conserve bien, on en met deux à trois fois plus que dans les styles belges classiques (environ 5g par litre de moût). L’acidité, qui sera procurée par les levures et bactéries sauvages, ne se mariera pas avec l’amertume des houblons. Ou en tout cas difficilement, on arriverait à un produit déséquilibré, très mal balancé. Les houblons, en les faisant faner à l’air libre pendant deux ou trois ans, garderont leurs propriétés conservatrices mais perdront leur goût, les fleurs fanes et les aromes s’en vont dans l’air ambiant. C’est la raison pour laquelle les brasseurs de lambics utilisent du houblon suranné (à 100%, ou presque), autrement dit vieilli. On favorise ainsi l’innocuité de la fleur au détriment de ses vertus aromatiques.
Le refroidissement
Une fois l’ébullition terminée, le moût est mis en refroidissement à l’air libre pendant les mois les plus froids ; ce type de refroidissement implique en effet l’impossibilité de brasser en été, la température nocturne extérieure étant plus chaude, favoriserait les infections. Dès lors, on ne brasse le lambic que d’automne au printemps dans un endroit bien aérée pour que le vent circule au sein de la pièce et transporte avec lui les micro-organismes contenus dans l’air.
Le vieillissement
Le moût est ensuite vieillit en tonneaux, le plus souvent en chêne (le châtaigner peut faire l’exception), où débutera sa fermentation. Les premiers jours, la fermentation est remarquablement violente, active à un tel point qu’il est impossible de fermer le tonneau tellement le rejet de CO2 est puissant : l’écume sort par le haut du tonneau ! Elle ralentira par la suite, environ deux semaines plus tard donnant doucement naissance à ce fameux lambic, qui restera enfermé pour un vieillissement qui durera jusqu’à trois ans. Avec un tel travail, les micro-organismes ont apporté une acidité bien complexe et la bière a atteint un moelleux et une finesse exceptionnelle. On obtient une bière sans pétillant ni mousse, il ne reste plus aucun sucre résiduel. Le produit est pointu et très précis.
Où goûter de bons lambics ?
La brasserie Cantillon commercialise une bière nommée Grand Cru Bruocsella qui est en fait du lambic de 3 ans d’âge, embouteillé tel quel. Mais la plupart des tonneaux ne vieilliront pas jusque là. Certains lambics seront bu plus jeune, vers un an d’âge, alors plus sucrés et plus doux.
Pour en gouter, rendez-vous dans une brasserie ou dans un bar spécialisé (généralement, les brasseurs de lambics ne produisent pas d’ales et encore moins de lager, et les brasseurs d’ales et de lagers ne produisent pas de lambics). En effet ce lambic pur est surtout utilisé comme base pour créer de nouvelles bières dont vous avez sans doute entendu parler: le faro, la gueuze, la kriek et la framboise en sont les plus populaires !
Mais t’avais dis qu’on mangerait du lambic 🙁
Et oui c’est ici que le prologue s’achève ! On se donne rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de ce dossier spécial fermentation spontanée où nous parlerons Faro et Gueuze, et encore celle d’après avec les krieks et autres bières aux fruits !
Santé !
Un dossier réalisé par Igor Wilson, aidé par Pierre Bertrand.
Partie 2: Le FaroPartie 3: La Gueuze
Image à la une: yeast on ShutterStock
octobre 12, 2014 at 10:30 am
Salut
L’empâtage
D’où sorts-tu cette info?
En général les brasseurs d’ales cuisent leurs céréales pendant environ 70 minutes. Les brasseurs de lambics quant à eux, parlent d’une période plus longue, qui peut atteindre selon les brasseries, 4 à 6 heures. Tout ça dans le but d’extraire davantage d’amidons.
S’il s’agit de documents très anciens? OK. Sinon (mon humble avis)
Le malt a un potentiel d’amidon. Tes paliers amylolitiques vont transformer cet amidon en sucres fermentescibles et non fermentescibles.
Dans ton cas (4 à 6 heures) tu vas transformer cet amidon en un maximum de sucres fermentescibles. En aucun cas tu vas extraire + d’amidon. Il va également s’opérer un surissement de ta maïsche.
et de former un moût où seuls les micro-organismes déterminés peuvent survivre.??
Tout dépend de la température de ton empâtage.
février 1, 2015 at 1:22 pm
Salut 🙂
La source est le livre « Gueuze et Kriek » de Jef van den Steen (aussi brasseur de Brouwerij De Glazen Toren). C’est bien ce qu’il y est mit. Je me renseignerai chez Cantillon dans 15 jours.
novembre 3, 2014 at 10:09 pm
Oui, pour ce qui est de l’empâtage, il faut de l’amidon dans le moût. Pourquoi? Parce que les Brett ont besoin de nourriture pour pouvoir survivre pendant 3 ans.
Donc il faut de l’amidon. Comment fait on? On met de côté une partie de la maische AVANT le palier de saccharification. Donc on n’a pas de sucres simples, que des complexes, dans cette partie de maische.
Et ensuite à la fin, on la réincorpore au total de la maische, mais à 80°C, où il n’y a plus de réaction enzymatique.
On se retrouve donc avec un moût avec une partie saccharifiée en sucres simples, et une partie avec de l’amidon.
Tout le monde est content. Les saccharomyces mangent les sucres simples et font de l’alcool. Les brett mangent l’amidon et font des composés aromatiques. Et les lacto mangent un peu tout.
Enfin c’est ce que j’ai compris de l’empâtage des lambics!
novembre 4, 2014 at 9:49 am
Bonjour, une fois de plus désolé pour le retard ! Je ne saurais répondre avec précision à tes questions ; nous sommes toutefois sur la même longueur d’onde concernant la survie des micro-organismes : tout dépend de la température. Loin de moi l’idée de décharger mon ignorance sur le dos de mon confrère, mais dans un soucis d’exactitude et pour ne pas dire de sottises, je te propose de contacter Igor qui s’est largement investi dans le contenu de cet article (et notamment sur cette partie). Je lui dirai de passer par ici pour compléter cette analyse 😉 Bonne journée à toi !
janvier 28, 2015 at 11:15 am
Salut à vous
Je reviens une nouvelle fois sur l’empâtage de 4 à 6 heures? L’explication de Simon me convient. Mais ne répond pas à la question pourquoi prolonger l’empâtage si le but est de retrouver de l’amidon? Avec nos connaissances actuelles, pour se retrouver avec un moût contenant de l’amidon (saccharification incomplète) il nous suffit de raccourcir les temps de paliers amylolitiques. Je me pose la question les 4 à 6 heures ce ne serait pas le temps d’ébullition?
Igor svp des réponses.