Black IPA, India Pale Lager, quand les styles de bière deviennent fous !
Aujourd’hui, j’ai comme une envie de faire une folie, je vais m’inventer une nouvelle recette de cuisine. Je sais ce que je vais faire, je vais piquer la recette de la bouillabaisse de ma grand-mère mais je vais la faire avec du sanglier à la place du poisson. Je vais mettre dans ma soupe de poisson, mes pommes de terre et mes croûtons d’ail et des morceaux entiers de viandes. Je suis certain que le mariage, je l’admets, un peu loufoque, formera une magnifique alliance de saveurs. Ce plat que je viens d’inventer, je vais l’appeler « la bouillabaisse du chasseur ». Je suis sûr que cela va être excellent.
« Bouillabaisse du chasseur », rien ne vous choque dans cette appellation ? N’est-ce pas étrange de joindre dans une même recette ces deux appellations extrêmes ? Ne trouvez-vous pas cela bizarre qu’une recette connue parce qu’elle est composée de poisson soit alliée avec le mot chasseur référent plutôt à de la viande. Si je vous présentais ce plat à la table de mon restaurant, sauriez-vous à quoi vous attendre ? Sûrement pas j’imagine, ou alors vous vous imagineriez quelque chose d’autre et vous seriez bien loin de penser à une bouillabaisse avec du sanglier. Toute cette illustration pour présenter un paradigme qui se développe et qui me choque de plus en plus dans le monde brassicole, l’incohérence des styles.
Quand vous rentrez dans un bar à bières artisanales, vous apercevez sur la carte une présentation des bières dénombrant le degré d’alcool, la brasserie, la ville de production et le style. De plus en plus souvent, cette case style, pourtant bien délimitée par certains organismes, devient un fourre-tout totalement incohérent. Les brasseurs artisanaux tentent de nouvelles expériences, testent de nouvelles recettes et, même si une bouillabaisse au sanglier peut paraître très étrange, peu importe. L’essence même du métier de brasseur artisanal est justement d’innover et c’est ce qu’on aime après tout. Le problème auquel les brasseurs sont vite confrontés, c’est qu’il devient difficile pour eux de placer leur innovation dans une des cases prédéterminées. Ils ont beau fouiller le dictionnaire complet des styles, leur nouvelle bière ne rentre dans aucune case. C’est à ce moment précis que le brasseur décide d’aller plus loin et, puisque sa bière ne correspond à aucun style, il crée un style. Cette invention plaît à son congénère ayant brassé une bière en s’inspirant de la sienne, celui-ci reprend alors cette appellation qui, admettons-le, sonne vraiment bien. C’est de cette manière que des nouveaux noms sont créés et sont repris partout dans le monde sans même avoir un soupçon de cohérence. C’est à cause de ce phénomène de mode, que les cafés à bières artisanales qui ont combattu avec acharnement pendant de nombreuses années la classification par couleur dénonçant une absence de transparence du goût pour le consommateur, se retrouvent à reprendre ces appellations dénuées de sens embrouillant à nouveau leur client. N’y a-t-il pas une incohérence quelque part ?
Le titre de cet article évoque deux appellations que je trouve particulièrement absurdes et incohérentes. Vous les avez sans doute déjà vues et, si ce n’est pas le cas, vous risquez de les voir fleurir sur les tables de votre café préféré prochainement. Certes, il existe un vide dans les dictionnaires brassicoles pour caractériser le goût de ce que certains appellent une « Black IPA », mais franchement, admettez qu’appeler une bière Black India Pale Ale, c’est quand même totalement absurde. Si cela ne vous choque pas, peut-être qu’un petit passage par le français sera plus clair. Trouvez-vous ça cohérent de les appeler Bières pâles noires d’Inde ? Ce paradigme est d’une incohérence qui me laisse sans voix ! Je préfère de loin le terme Cascadian Dark Ale décrivant le même type de bière. J’espère qu’à long terme il effacera l’appellation Black IPA des mœurs. Qui plus est, l’histoire est sympathique à raconter, Cascadian ne fait pas référence au populaire houblon Cascade mais en fait à une vallée des États-Unis où la culture du houblon est dense. Quand c’est le terroir qui influence le nom d’un style, là je retrouve les fondamentaux de l’appellation stylistique.
Il existe bien un second terme qui me chiffonne profondément, il s’agit de « India Pale Lager », comprenez si vous le pouvez, lager houblonnée comme une IPA. Encore une fois, les brasseurs ont utilisé leur mixeur de terminologies pour nous pondre quelque chose de fondamentalement absurde. Les styles brassicoles ont été construits par des histoires brassicoles. L’histoire des IPA, le fait que ces bières blondes houblonnées se sont vues greffer le mot India pour les désigner, est relatif au transport de la bière de l’Angleterre vers l’Inde au 18e siècle. En quoi une lager houblonnée doit-elle voir apparaître cette référence Indienne ? En quoi la traditionnelle lager allemande doit-elle se voir rattachée à de l’Histoire anglo-indienne simplement parce qu’elle est houblonnée ? Je dois admettre que cette cacophonie me dépasse. Un terme tel que American Lager ne serait-il pas plus cohérent selon vous ?
Que vous ayez un bar ou un restaurant, que vous soyez brasseur ou même que vous aimiez tout simplement la bière, je vous invite à ne pas faire n’importe quoi avec les styles, sans quoi tout perd son sens.
Pour mieux connaître les styles, il existe deux guides incontournables auxquels se référer, celui de la Brewers Association et celui du Beer Certification Judge Program :
Que pensez-vous des termes Black IPA et India Pale Lager ? D’autres termes vous ont-ils déjà choqué ?
Ma bouillabaisse de sanglier vous tente-t-elle ?
Image une : ipa from shutterstock