Arnaque des bières mensongères, comment lire une étiquette ?
Voilà six mois que je prépare ce dossier sur les fausses bières locales. Ce sont de véritables fléaux dans le domaine brassicole. Elles sont dignes des prestidigitateurs de rue des vieux films américains. Ceux qui haranguent les passants dans les rues pour effectuer leurs tours de passe-passe et vendre un élixir de jouvence sous l’œil ébahi de la foule hystérique. Il existe la même chose dans la bière, plus près de toi que tu ne le penses, certainement dans ta région ou bien même dans ta ville. Ce dossier a pour but d’éclairer une zone d’ombre volontairement cachée. Il a pour but de dénoncer une pratique de charlatan pourtant bien légale. Certaines marques de bières vous cachent la vérité, nous la dévoilerons à leur place.
Qu’est-ce qu’une bière mensongère ?
« La bière des Marseillais », « La bière pour les Basques », « La boisson des Catalans »… Attention, tu es en train de te faire berner ! Même Wikipedia se fait avoir… De nombreuses bières s’approprient une identité locale et mentent aux consommateurs. Il est assez rare de voir dans nos régions des labels d’authentification de nos produits locaux. Du coup, vous vous faites arnaquer en pensant acheter du local tandis que vous achetez de la bière tchèque. Une grande mascarade, un beau tour de passe-passe qui fonctionne. On a décidé de taper du poing sur la table afin de dévoiler au grand jour ces usurpateurs. On ne les lapide pas sur la place publique mais on se permet de mettre au clair les zones d’ombres. Une manière de rééquilibrer la balance en quelque sorte.
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Définition des bières locales mensongères
Une bière mensongère est une bière qui s’auto-proclame d’une localité géographique (ville, région, département…) sans être brassée dans la zone géographique en question. Nous distinguons clairement celles qui sont transparentes sur l’origine de celles qui cachent l’origine de leur fabrication pour tromper les consommateurs. Nous considérons qu’une marque cache l’origine de fabrication de sa bière à partir du moment où il n’est nullement possible d’identifier l’origine de fabrication du produit sur la bouteille. Dans ce dossier, nous ciblons tout particulièrement les bières communiquant sur une zone géographique précise. Une bière brassée en République Tchèque qui communique sur une localité mais qui précise l’endroit de production sur la bouteille n’est pas une bière mensongère. Souvent, les brasseurs lancent leur marque, font produire ailleurs avant d’avoir les fonds nécessaires pour rapatrier leur brasserie. Un comportement qu’évidemment nous n’accablons pas. A l’aide de ce dossier, vous allez apprendre à lire une bouteille de bière.
Comment les bières mensongères vous arnaquent-t-elles ?
De nombreux éléments doivent sonner chez vous comme une alarme. En effet, le message utilisé par ce type de bière est très souvent malicieusement détourné.
Ce qui est interdit
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Une bière mensongère n’a pas le droit d’utiliser ce type d’appellations :
- Bière de Montpellier
- Bière Montpelliéraine
- Bière Héraultaise
- Brasserie Montpelliéraine
- Brasserie de Montpellier
En gros, elle n’a pas le droit de mentir en liant le mot « bière » ou « brasserie » avec une localité précise.
Ce qui est autorisé
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Regardez la malice avec laquelle les bières mensongères contournent cette interdiction. Lorsque vous verrez l’un des messages suivants, cela devra faire « ding / ding » dans votre petite tête :
- Utilisation d’une identité plutôt que d’une localité. Exemple : La bière des Basques
- Nom de la marque + nom de la localité. Exemple: La Pitchouli de Montpellier
- Utilisation d’un référent local abstrait. Exemple : La bière des Rocheuses (où les Rocheuses vont intelligemment faire penser à la Bretagne)
- Utilisation d’un ingrédient local. Exemple: La bière à l’eau de Mer.
Plutôt vicieux vous ne trouvez pas ?
Comment vérifier l’origine de fabrication d’une bière ?
Détecter l’origine grâce à l’adresse postale
Évidemment, le premier élément qui vous permet d’identifier l’origine d’une bière est l’adresse postale. C’est un bon réflexe et vous risquez d’être surpris voire même déçu de voir que certaines bières ne sont pas brassées où vous le pensiez. Cependant, je vous invite à ne pas accabler les marques en question puisqu’elles ont le grand mérite de ne pas vous mentir. En effet, il n’est pas obligatoire d’indiquer l’adresse postale de production. Une marque de bière disposant d’un siège social à Lille brassant en Belgique a tout à fait le droit de mettre son adresse postale lilloise. Il est alors difficile pour le consommateur de savoir où est brassée la bière.
Lire le code barre pour connaître l’origine
Le code barre est un indicateur pour identifier l’origine d’un produit. Malheureusement, comme pour l’adresse postale, il n’indique pas spécialement l’endroit de fabrication du produit. Qui plus est, il n’est pas obligatoire. Il faut donc s’en méfier.
Malgré tout, sachez que les 3 premiers chiffres d’un code barre sont relatifs à un pays.
Voici quelques débuts de code barre utiles pour le monde brassicole :
États-Unis: 000 à 019 France: 300 à 379 Belgique Luxembourg : 540 – 549 Allemagne : 400 à 440 République Tchèque : 860
Identifier l’origine grâce à l’estampille sanitaire
L’estampille sanitaire est délivrée par les contrôles officiels. Elle est destinée aux entreprises manipulant des denrées alimentaires. En l’occurrence, lorsque l’on parle d’une bière, c’est le fabricant qui manipule la denrée. C’est un indicateur généralement beaucoup plus parlant que le code barre ou l’adresse postale. Elle est de la forme suivante : FR XX.XXX.XX CE.
Pour l’estampille sanitaire, les deux premières lettres identifient le Pays (FR, BE…). Les 2 premiers chiffres identifient le département, les 3 suivants la commune et les 2 derniers l’entreprise. Enfin, les lettres CE précisent que c’est d’un pays appartenant à l’Union Européenne.
Découvrir l’origine grâce au code Emballeur / code EMB
Généralement, le code EMB est le meilleur élément pour identifier la fabrication d’un produit. Le code EMB, ou code emballeur, est le numéro de l’entreprise qui a emballé la bière, qui l’a mise en bouteille. Souvent, l’entreprise qui met la bière en bouteille est l’entreprise qui brasse le produit. C’est un indicateur bien plus parlant que l’adresse postale.
Pour le code EMB, les 2 premiers chiffres du code identifient le département. Les 3 chiffres suivants identifient la commune via son code INSEE. Si dans une commune, deux professionnels brassent de la bière, il est complété par des lettres (A, B, C…). Afin de savoir dans quelle commune est brassée la bière, rendez vous sur le site de Open Fact Food et effectuez une recherche par code EMB.
Quelles sont les normes d’étiquetage sur la bière ?
Pour récapituler, c’est un bon réflexe de commencer par regarder le code barre ou l’adresse postale mais ils n’indiquent en aucun cas avec certitude l’origine du fabricant. L’estampille sanitaire et le code EMB sont des données beaucoup plus intéressantes. Malheureusement – c’est ce qui me scandalise – ces données ne sont pas obligatoires. En leur absence, vous n’avez aucun moyen de savoir où votre bière a été produite. En Europe, voici ce qui est obligatoire sur les bouteilles de bière :
- la dénomination technique : « bière », « bière sans alcool », « bière aromatisée à… », « panaché », « bière artisanale »
- le volume de la bouteille (en L, cL ou mL)
- les ingrédients : eau, orge, houblon, levure (obligatoire pour les bières sans alcool et les panachés uniquement).
- le degré d’alcool (0.5% d’écart toléré)
- le nom de l’entreprise responsable de la fabrication ou bien du conditionnement ou bien de la commercialisation et identification de l’emplisseur ou bien de celui qui fait faire l’emplissage ou bien de l’importateur
- le lieu d’origine ou de provenance, lorsque l’omission de cette mention est susceptible de créer la confusion dans l’esprit du consommateur sur cette caractéristique
- la DLUO : Date Limite d’Utilisation Optimale exprimée tel quel : « A consommer de préférence avant : xxxx »
- les substances provocant des allergies : « contient du malt d’orge »
- l’avertissement pour les femmes enceintes
- le numéro du lot de fabrication (sauf si la DLUO est indiquée avec le jour et le mois)
Pour plus d’informations, consultez la circulaire de présentation du gouvernement.
Pourquoi ces normes actuelles sont insuffisantes ?
Quand il est obligatoire sur les denrées alimentaires (jambon, pizza, gâteau…) d’indiquer le code emballage si le produit est commercialisé ou conditionné par un intermédiaire, ce n’est pas le cas des vins et des bières. Comme vous pouvez le voir dans la mention obligatoire n°5, une entreprise qui commercialise une bière qu’elle ne produit pas n’est pas obligée d’indiquer les coordonnées de son fabricant. Heureusement, la mention obligatoire n°6 existe pour rattraper les petits filous dont on parle aujourd’hui.
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Malheureusement, c’est loin d’être suffisant car c’est une démarche de répression en aval. Généralement, le caractère « confus » du lieu d’origine d’une bière ne peut être déterminé qu’en cas de procès d’une entité tierce contre la société qui commercialise la bière mensongère. En attendant qu’elle se fasse attaquer légitimement, la bière est tranquille. Qui plus est le caractère « confus » reste une notion abstraite que seule la jurisprudence clarifie. Enfin, quand on connait la lenteur, la lourdeur des tribunaux français, la société qui triche est finalement sereine pour quelques années. Ne serait-il pas préférable d’opter pour une démarche en amont ? Il suffirait d’ajouter, comme c’est le cas pour les denrées alimentaires, l’obligation d’indiquer le code EMB sur les bouteilles de bières. A mon avis, c’est le strict minimum mais il faudrait même aller plus loin. Lire un code EMB est loin d’être naturel chez la plupart des Français. Je rêve d’une mention obligatoire telle que « Produit Fabriqué à : XXXXX » avec le code postal, la ville et le pays de fabrication du produit. Il permettrait une réelle transparence auprès des consommateurs. Mais ce n’est qu’un doux rêve, commençons déjà par le début. Je réclame en ce jour à la justice française que le code EMB devienne obligatoire sur les étiquettes de vins et de bières. Monsieur Arnaud Montebourg, en tant que Ministre de l’Économie et fervent militant du « Made In France », je vous demande de prendre en considération cette requête pour permettre d’éliminer ce fléau sévissant dans le monde brassicole depuis de nombreuses décennies. J’en appelle à l’ensemble de la communauté brassicole qui partage mon opinion sur la question pour partager massivement ce message afin que cette supercherie cesse définitivement.
Exemples concrets de supercheries
Afin de mieux illustrer la supercherie, il me parait nécessaire de prendre quelques exemples concrets.
La Cagole, bière de Marseille
La Cagole ou l’incarnation de la tromperie ! Une adresse postale à Marseille, pas de code EMB et des stéréotypes marseillais de partout. Le mieux pour vous en parler est de le faire en vidéo.
EKI la bière Basque
Commençons avec la célèbre bière basque, l’EKI.
Il faut dire qu’ils sont très forts en la matière… Eki est une bière qui se prétend basque. Sur l’étiquette on peut lire :
Eki la bière blonde et conviviale des Basques tire son nom du soleil tout un symbole très cher au cœur du peuple Basque.
Le nom de l’entreprise et l’adresse de l’entreprise pousse le vice encore plus loin :
Brasserie du Pays Basque 64 520 BARDOS
On peut également voir de nombreuses annotations basques sur l’étiquette. Je m’abstiendrai de vous les traduire. Heureusement – cela n’a pas toujours été le cas – EKI dispose d’un code EMB sur ses bouteilles. Il faut dire que la marque a été plusieurs fois poursuivie pour son mensonge. Précédemment, elle communiquait en tant que « Bière Basque » avant d’être attaquée. Menons l’enquête avec le joli code EMB de ladite « brasserie » :
EMB 67202
En effectuant un recherche sur le site d’Open Fact Food, on s’aperçoit que le code de l’EKI correspond à Hochfelden dans le Bas-Rhin, en Alsace.
L’EKI est brassée par la brasserie Météor en Alsace. Sympa la supercherie non ? Et encore, ils vous alertent à l’aide du code EMB.
Listes des bières mensongères
Précision sur la sélection
J’ai mené mon enquête pour dénoncer les bières mensongères qui sévissent en France. Voici un listing non-exhaustif des bières mensongères. Je peux vous dire que cela n’a pas été simple de les identifier. J’en avais bien d’autres dans les petits papiers mais comme je n’ai pas voulu tacler des bières sans être sûr de la supercherie, je ne les ai pas intégrées pour l’instant. Je vous invite, bien évidement, à me recommander de nouvelles bières si vous en connaissez, j’éditerai l’article en conséquence si vous me fournissez des preuves. Des preuves qui, croyez-en mon expérience, ne sont pas vraiment simple à obtenir. Cependant, je vous prie de prendre en considération que sont mentionnées dans cette liste uniquement les bières qui :
- communiquent sur une localité précise
- sont brassées ailleurs que dans ladite localité
- ne sont pas transparentes sur le lieu de production
Pour mieux comprendre ma démarche, voici un exemple. On m’avait dénoncé la brasserie La Perle qui communique clairement sur son appartenance alsacienne. Cependant, ils sont très clairs sur le sujet puisqu’ils précisent sur leur site Internet qu’ils n’ont pas encore de brasserie. Même analyse avec la Gallia qui précise sur son site Internet qu’elle est actuellement brassée en Normandie bien que je trouve très limite le fait de communiquer sur le terme « Gallia Paris » tandis que ce n’est pas encore le cas.
Bières mensongères identifiées
Bière | se dit de | vient de |
La Cagole | Marseille | République Tchèque puis Lille |
Sorcière du Berry | Issoudun | Bellefois [Poitou-Charentes] |
Eki | Pyrénées-Atlantiques [Landes] | Brasserie Météor [Alsace] |
L’Arrageoise | Arras [Nord] | Br. Huyghe [Belgique] |
Tonnerre de Brest | Finistere [Bretagne] | Br. Lefebvre [Belgique] |
La Bourgignone | Beaune [Bourgogne] | Br. La Binchoise [Belgique] |
Oldarki | Ascain [Pyrénées-Atlantiques] | Espagne |
Collongeoise | Collonges-la-rouge [Corrèze] | Fleurac [Cantal] |
Jamm’s | Mont de Marsan [Landes] | Belgique |
Metz’Bier | Metz [Moselle] | Saint-Pierre [Alsace] |
Lorrabelle | Lorraine | Huyghe [Belgique] |
Monaco 1905 | Principauté de Monaco | Heineken [Paris] |
L’Alsacienne Sans culotte | Mulhouse [Alsace] | Br. Huyghe [Belgique] |
La Turbine | Jura | IFBM Nancy |
Tout est ensuite une question de mesure. A travers sa dénomination, nous critiquons vigoureusement la communication de la marque Oldarki mais ils ne font pas brasser très loin, en Pays basque espagnol. A travers même cette liste, il y a un monde entre Oldarki et La Cagole en terme de niveau d’escroquerie. N’hésitez pas à me signaler de nouvelles bières mensongères dans les commentaires si vous en connaissez d’autres. Merci de préciser les éléments présents sur la bouteille (code EMB, adresse postale…).
Image à la UNE : Man arrested on ShutterStock