Quand l’UE se mêle de la loi de pureté en Allemagne !

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Première chronique de Maître Houblon chez Happy Beer Time, pour parler de bière et de droit. On revient aujourd’hui sur une décision ancienne mais qui intéresse directement les amateurs allemands de bières.

Le Reinheitsgebot, vous en avez sûrement entendu parler. Il s’agit du fameux « décret sur la pureté de la bière », argument essentiel d’un grand nombre de brasseries allemandes pour promouvoir la qualité de leurs produits.

Et il se trouve que ce décret s’est retrouvé l’objet d’une bagarre juridique entre la Commission européenne et l’Etat allemand. C’est ainsi que, le 12 mars 1987, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt relatif aux obligations imposées par le droit allemand quant à la composition de la bière.

Mais en fait, elles disaient quoi ces règles allemandes ?

La Cour de justice s’est prononcée sur l’effet de deux règles allemandes.

Le Biersteuergesetz (loi fiscale sur la bière) interdisait l’utilisation de la dénomination « bière » pour les breuvages qui ne respectaient pas des règles de pureté. Il s‘agissait d’une disposition juridique, créée en 1923, et modifiée en 1952, incorporant le Reinheitsgebot de manière formelle dans le droit allemand.

  • Pour les bières de fermentation basse, ne pouvait être ainsi utilisé que du malt d’orge, du houblon, de la levure et de l’eau.
  • Pour les bières de fermentation haute, d’autres malts pouvaient être utilisés, ainsi que différents types de sucres ajoutés. En particulier, toutes les bières à base de riz, de maïs ou de sorgho ne pouvaient pas être commercialisées sous le nom de bière. Certaines dérogations pouvaient cependant être accordées, quand les bières étaient destinées à l’exportation.

Par l’effet d’une autre disposition législative, la commercialisation de bière étant interdite de manière absolue si la bière incorporait des additifs (bye bye les épices !). A noter que la bière faisait l’objet de dispositions plus strictes que les autres produits alimentaires.

En quoi c’est grave ?

Vous le savez sans doute, l’un des piliers de l’Union européenne, c’est le marché commun. Cela a de multiples conséquences. En particulier, l’un de ces conséquences est l’article 34 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne :

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Les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes mesures d’effet équivalent, sont interdites entre les États membres.

Les Etats membres ne peuvent donc pas édicter de règles qui viendraient empêcher ou freiner l’importation de produits provenant d’un autre Etat membre sur le territoire national.

Des dispositions créant une restriction quantitative peuvent néanmoins être justifiées, si elles poursuivent un des objectifs suivants :

raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale (article 36 TFUE)

Dans le cas du Biersteuergesetz, la Commission européenne considérait que son application par l’Allemagne à l’époque constituait une restriction quantitative à l’importation. Elle a donc poursuivi l’Allemagne devant la Cour de justice pour constater cette violation des traités.

Comment l’Allemagne a-t-elle justifié cela ?

L’Allemagne a justifié ces restrictions, en faisant valoir qu’elles visaient à protéger le consommateur.

Selon elle, l’interdiction de commercialiser sous la dénomination « bière » des bières ne répondant pas aux exigences du Biersteuergesetz permet de ne pas tromper les consommateurs allemands sur le contenu de leur verre. Il s’agissait selon elle d’empêcher qu’ils soient induits en erreur sur la nature du produit en étant amenés à croire qu’une boisson appelée « bière » répond à la loi de pureté lorsque tel n’est pas le cas.

L’interdiction des additifs était quant à elle justifiée par des exigences de santé publique :

eu égard aux dangers résultant de l’utilisation des additifs, dont les effets a long terme ne sont pas encore connus, et compte tenu spécialement des risques que présentent l’ accumulation des additifs dans l’organisme et leur interaction avec d’autres substances comme l’alcool.

Au final, quelle est la décision de la Cour de justice ?

Elle considère que les mesures allemandes ne sont pas justifiées, et constituent donc des violations du traité.

Sur l’interdiction de commercialiser sous la dénomination « bière » des bières ne répondant pas aux exigences du Biersteuergesetz, la Cour considère que la bonne information des consommateurs peut être faite par d’autres moyens, en particulier par un étiquetage adapté.

Sur l’interdiction de commercialisation absolue de bières contenant des additifs, la Cour considère que l’interdiction absolue de commercialiser des bières avec des additifs est une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs de santé publique.

C’est quoi la conséquence en pratique ?

La principale conséquence pratique est que toutes les bières belges (en particulier les krieks, les framboises, les bières blanches…) peuvent aujourd’hui être importées en Allemagne. Et ça, c’est une sacré bonne nouvelle, non ? Certains esprits chagrins vous diront que les bières industrielles pleines de colorants ou de conservateurs sont également autorisées en Allemagne aujourd’hui, mais c’est pas bien d’écouter les esprits chagrins.

En revanche, le Biersteuergesetz existe toujours aujourd’hui, mais seulement pour les bières à fermentation basse produites en Allemagne et destinées au marché allemand.

En somme, la prochaine fois que, lors d’un prochain passage en Allemagne, vous savourerez une bière belge, rappelez-vous que, si c’est possible, c’est un peu grâce à l’Europe…

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A propos de Pierre

Pierre est l'avocat de la bande. Un peu moins fun que les autres, mais toujours intéressé par partager un bon moment malté (pourvu que la bière soit bonne).

3 commentaires to “Quand l’UE se mêle de la loi de pureté en Allemagne !”

  1. Laurent Mousson a dit :
    mars 18, 2014 at 9:06 pm

    « […] incorporant le Reinheitsgebot de manière formelle dans le droit allemand. »
    Euh non, justement pas.
    Le passage de la Landesordnung Bavaroise de 1516 dit « Reinheitsgebot » prévoyait « orge, eau, houblon » (donc dans le genre, il doit y avoir l’Iris de Cantillon qui entre dans ce cadre-là, de nos jours… et pas grand-chose d’autre), le Biersteuergesetz prévoit « malt, eau, houblon, levure », et une floppée d’exceptions depuis 1952.

    Et c’est tout le problème, c’est la confusion soigneusement entretenue entre les deux, à se faire croire que c’est pareil…

    • Merci pour l’info !

      La confusion est entretenue par l’arrêt de la Cour de justice, puisque dans la présentation de l’affaire, on peut lire qu’elle à trait à l’application de la « loi de pureté » aux bières importées d’autres Etats membres. Avant de parler, dans le corps de l’arrêt, du Biersteuergesetz…

      • Laurent Mousson a dit :
        mars 19, 2014 at 2:35 pm

        C’est clair ! SI tu lis l’allemand, la notice Wikipedia « Reinheitsgebot » dans cette langue est une lecture très intéressante, qui descend en flammes la vache sacrée de manière très solide.

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